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du cœur qu’aux facultés réfléchies de l’esprit. Tel est, ce nous semble, le caractère général de l’art et de la littérature de notre pays, comme l’a fixé le siècle de Louis XIV : moment solennel où la France, s’étant assimilé les divers élémens dont elle s’était nourrie depuis la renaissance, se dégage des influences étrangères qui avaient cherché à la diriger, épure son goût et ses institutions, et prend enfin possession de sa personnalité. Le XVIIIe siècle révèle au génie français des voies nouvelles, il fait irruption dans cette société élégante et bien ordonnée qui, tout occupée de causeries charmantes sur Descartes, Port-Royal, sur la métaphysique, la morale et la théologie, soupçonnait à peine l’existence du monde extérieur. Ce rideau abaissé sur les charmes, la variété et la magnificence de la nature, J.-J. Rousseau le déchire ; Bernardin de Saint-Pierre, Châteaubriand, Mme de Staël, les révolutions de la vie sociale et les efforts de l’école moderne achèvent de modifier le type révéré, et ouvrent à l’imagination française un champ plus vaste avec les bénéfices et les dangers d’une liberté sans limites. L’élément lyrique a été ainsi introduit dans notre littérature ; mais le génie français (et c’est là ce qu’il faut surtout remarquer) n’a point perdu ses qualités essentielles. Il est resté amoureux de la précision, de la netteté, de l’ordre ; il ne s’abandonnera jamais tout entier à ce souffle capricieux de la fantaisie que rien ne modère au-delà du Rhin. C’est pour cela que, même dans ce champ si élargi, il rencontrera encore des limites ; c’est pour cela que certaines formes de l’art ne pourront recevoir de lui qu’une vie artificielle, et qu’il sera conduit souvent à méconnaître les vraies conditions de certains genres exclusivement lyriques.

Qu’on nous pardonne ces considérations ; nous ne sortons pas de notre sujet, car la symphonie est un de ces genres dont nous parlons, et c’est à la question même soulevée par les derniers essais de symphonie en France que nous sommes ainsi ramené. La musique française a dû passer par les mêmes vicissitudes que le génie français. Admise d’abord dans le drame comme l’humble compagne de la parole qu’elle était condamnée à suivre pas à pas, et dont elle devait donner la traduction littérale, il lui fallut disputer chacune de ses conquêtes ; elle ne put arriver à son émancipation qu’en passant à travers les railleries et les sophismes des beaux esprits du XVIIIe siècle. Heureusement pour nous que Gluck et Grétry ont été inconséquens et supérieurs à la théorie qu’ils professaient, sans cela nous serions privés d’admirer leurs rouvres sublimes et charmantes. On conçoit que chez un peuple imbu de pareilles idées la musique purement instrumentale surtout ait eu bien de la peine à naître et à se développer. Quelques airs de violon, les sonates pour piano de Couperin et de Rameau, étaient les seuls morceaux en vogue pendant la première moitié du XVIIIe siècle. Gossec est le premier musicien français qui se soit essayé dans le genre de la symphonie, et, chose digne de remarque, sa tentative, qui eut lieu en 1754, correspond à la première symphonie d’Haydn, qui préludait ainsi, à l’autre bout de l’Europe, à la création de l’épopée de l’art musical. L’œuvre de Gossec, qui, dans le genre particulier qui nous occupe, se compose de vingt-neuf symphonies à grand orchestre, mérite d’être étudié avec respect par la critique éclairée, désireuse de connaître les commencemens d’un art qui a produit la Symphonie pastorale.

Si la même époque a vu naître la symphonie en France et en Allemagne, ce n’est qu’au-delà du Rhin cependant que cette forme essentiellement lyrique, résultat de l’émancipation, ou, pour mieux dire, de la sécularisation des instrumens,