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Voltaire, quand celui-ci, l’appelant son Trajan, lui vantait les bienfaits qui devaient naître de l’alliance de la royauté avec la philosophie ; au contraire, elle lui montrait clairement que son autorité n’avait pas de plus grands ennemis que cette foule d’hommes qui, dans leur passion pour l’analyse, remontaient à la source de toutes choses. Aussi se garda-t-il bien de leur témoigner la moindre faveur, et fut-il impitoyable à se moquer des seigneurs de sa cour qui allaient en Angleterre apprendre, disaient-ils, à penser. De tous les penseurs il n’en aimait qu’un, c’est Quesnay, le père des économistes, et cela se conçoit, puisque Quesnay rêvait le retour de la société à l’état patriarcal, sous un roi absolu, qui eût été revêtu d’un droit de surveillance et d’intervention universelles. Ce rêve n’était pas, tant s’en faut, celui de la majorité, et le prince l’ignorait moins que personne. Qu’on y prenne garde, et l’on s’apercevra que les hommes du tiers-état étaient loin de trouver grace à ses yeux comme devant Louis XIV, et qu’il était même fort défiant à l’égard de ces roturiers qui s’enrichissaient, s’éclairaient, s’enhardissaient chaque jour. Où le tiers-état trouvait-il des points d’appui ? Parmi les gens du parlement, parmi les jansénistes, les philosophes et les gens de lettres. Or, le pouvoir fit à tous une guerre implacable. Il s’évertua à dépouiller le parlement du droit de remontrances, à imposer aux jansénistes le joug de la suprématie papale, à brûler les livres des philosophes, à lancer des lettres de cachet contre les écrivains. Ce manége fut incessant pendant près de cinquante années, et la persévérance que déploya le pouvoir dans le rôle qu’il avait embrassé prouve bien qu’il n’agissait pas à l’aventure, et que les dangers de sa position lui étaient connus. Il est un fait qui marque plus que tous les autres que, s’il y avait moins de grandeur et moins de fermeté chez Louis XV que chez son prédécesseur, il y avait chez lui peut-être plus de logique : c’est l’insistance avec laquelle il lutta contre les conséquences de la fameuse déclaration du clergé français qui avait établi les libertés de l’église gallicane. Son règne tout entier ne fut qu’une protestation contre l’acte de 1682. Le vieux Caton ne demanda pas plus ardemment la destruction de Carthage, et il est manifeste qu’au point de vue des intérêts de la royauté Bossuet avait fait commettre à Louis XIV une lourde faute (qui n’échappa pas du reste à ce monarque) en l’amenant à sanctionner cette déclaration. Évidemment c’était faire œuvre qui émanait de la réforme que d’imposer une règle à l’autorité, à l’autorité dont, selon les plus vieilles traditions, Rome était le siège et la source. L’autorité ! tel était le grand principe qui était malade et qu’il s’agissait de sauver. N’était-ce pas une étrange maladresse de la part d’un pouvoir qui venait après Luther et Calvin que d’affaiblir ce principe au moment où il allait en avoir un si grand besoin ? C’est le tort que dut déplorer Louis XV, et qu’il s’efforça de réparer avec plus d’énergie qu’il n’en paraissait avoir : mais il reconnut bien que les jansénistes étaient fanatisés, les parlemens intraitables, les philosophes armés de toutes pièces ; que, comme les jésuites eux-mêmes, ces alliés si intelligens et si souples, ne pouvaient plus suffire à leur tâche et demandaient merci, il y avait humanité à les mettre hors du champ de bataille, c’est-à-dire à les renvoyer de France dans leur propre intérêt ; que, la contagion gagnant de toutes parts, il s’agissait à la fin bien moins de sauver l’autorité dans l’église que de la sauver dans l’état ; et c’est alors qu’ayant jugé sa propre impuissance, il s’écria : Après moi le déluge ! exclamation arrachée plutôt au désespoir qu’à l’insouciance.