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religieux et du sublime, tels que, quand à la fin ils furent morts, Voltaire, leur historien, manifesta la crainte que la nature ne fût épuisée.

Peut-être a-t-on eu le tort cependant de regarder l’avènement de cette monarchie du XVIIe siècle, si brillante, si impérieuse, si peu contestée, comme un phénomène inexplicable. Remarquons d’abord qu’il est des époques où la société, fatiguée de ses agitations, va presque d’elle-même au-devant d’un maître à qui elle demande le repos, et que telle fut la situation où se trouva Louis XIV, comme auparavant Auguste, comme après lui Bonaparte. La mollesse dont la nation fit preuve au milieu des troubles de la Fronde, et alors que se prononçait pour la première fois le mot de liberté, démontre bien qu’on n’était pas disposé encore à demander sérieusement à la royauté ni des comptes ni des garanties. De plus, si l’on cherche vers cette époque le rapport qui lie les idées aux faits, on se convaincra que toute une école d’écrivains et de publicistes fort en renom, Grotius, Hobbes, Saumaise, Gabriel Naudé, enseignait que, dans l’intérêt des peuples, il importait que le pouvoir du prince fût le plus fort et le plus étendu possible. Il en fut ainsi pour Louis XIV, et les vues de Grotius, de Hobbes et de Naudé se trouvèrent pleinement réalisées, puisque la royauté fut pendant un instant aux yeux des peuples ce que Grégoire VII, plusieurs siècles auparavant, aurait voulu que la papauté fût aux yeux des rois. Cependant le dogme religieux avait été ébranlé : était-il possible que le dogme qui s’attachait à la royauté absolue restât sans atteinte ? Non ; car l’esprit d’examen existait, et, alors même qu’il semblait s’éteindre, alors qu’il se taisait devant les grandes voix du siècle, il écoutait avidement, ne perdait aucune leçon, faisait son profit des traits satiriques de La bruyère et de Boileau, de ce qu’il y avait d’instructif dans les merveilleuses boutades de Pascal, dans le souverain bon sens de Molière, dans les élans qui jaillissaient du cœur tout romain de Corneille, dans l’éloquence évangélique de Fénelon, dans l’éloquence biblique, affirmative, imposante, de Bossuet. Il y avait en tout cela de quoi nourrir l’ame, la raison, l’imagination, et, si d’ailleurs l’opinion gardait le silence, c’était à la condition qu’on l’indemnisât en chefs-d’œuvre et en victoires du joug qu’elle voulait bien subir. Du moment que victoires et chefs-d’œuvre cesseraient, on devait s’attendre à la voir reparaître en scène. C’est ce qui arriva. Louis XIV n’était pas encore mort, que déjà on l’avait vue s’émouvoir et qu’elle se demandait où en était resté le drame si attachant qu’avaient commencé Luther, Montaigne et Rabelais, dont elle s’était laissé distraire pendant un demi-siècle, mais qu’elle voulait continuer. Elle le continua en effet et le mena si rapidement, qu’en trois générations elle le faisait aboutir au terrible dénoûment de la révolution française.

Encore une fois, c’est une histoire très difficile à écrire que celle du XVIIIe siècle, presque aussi difficile que celle de cette révolution que nous venons de nommer, puisqu’à chaque ligne on est obligé de remuer des idées, d’agiter des questions de même nature. Ces sortes de sujets ne veulent être abordés qu’à distance, et c’est tout au plus si aujourd’hui le calme et l’impartialité se sont assez établis dans les esprits pour traiter convenablement, sans préjugés ou sans rancunes, celui dont nous nous occupons. Aussi Voltaire, qui était le premier homme de son temps pour écrire l’histoire, et qui ne voulut pas mourir sans écrire celle de Louis XV, l’écrivit-il d’une façon détestable, à tel point que cette histoire est, si l’on veut, répandue partout dans ses œuvres, exprimée dans chacune de ses