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DE


LA SOCIETE FRANCAISE


AU DIX-HUITIEME SIECLE.




Histoire philosophique du règne de Louis XV, par le comte de Tocqueville[1]




Pendant qu’on portait Louis XIV en terre ; le peuple fit entendre des clameurs et des malédictions qui s’adressaient à la fois au roi défunt, à Mme de Maintenon et au père Le Tellier. Ces clameurs étaient doublement significatives : elles étaient dirigées contre le despotisme, contre le règne des favorites et des prêtres intolérans ; elles marquaient aussi que l’opinion, après être restée long-temps muette d’admiration, muette de crainte, rompait le silence. Enchaînée pendant un demi-siècle, elle avait eu occasion néanmoins de prendre sous main son développement et sa force ; mais, après qu’une époque marquée d’un cachet de suprême grandeur lui eut donné les plus hauts enseignemens qu’elle pût recevoir, elle comprit qu’il ne lui convenait plus de rester silencieuse et passive. Elle avait pris ses derniers degrés à une rude et glorieuse école ; le temps de se montrer ouvertement était arrivé. L’opinion s’empara de prime abord du terrain, et, dès ce moment, on peut dire sans paradoxe qu’elle n’a pas lâché pied. C’était l’introduction d’un nouveau pouvoir dans l’état.

L’histoire de Louis XV est, à proprement parler, l’histoire des progrès infiniment croissans de l’opinion publique en France depuis la mort de Louis XIV jusqu’à l’avènement de Louis XVI, et disons-le avant tout, ce qui donne une

  1. Librairie d’ Amyot, éditeur, 6, rue de la Paix.