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violente, convulsive, qui est le signe précurseur des révolutions. A Madrid, à Burgos, à Tolède, toutes les têtes sont en feu : partout le peuple délaisse ses travaux pour ne s’occuper que des dangers qui menacent son roi : il est soulevé dans ses profondeurs comme la mer battue par la tempête. Bientôt des nouvelles étranges circulent, et la foule ignorante les accueille avidement. On dit qu’à Bayonne Ferdinand a tenu un langage sublime, qu’il a déclaré à l’empereur qu’il aimerait mieux mourir que de se déshonorer en renonçant à ses droits souverains. On ajoute que la Biscaye, la Navarre, la Catalogne et l’Aragon se sont levés en masse, et que les troupes françaises qui occupaient ces provinces ont toutes mis bas les armes. Au récit de ces bruits mensongers, les esprits, déjà enflammés, ne peuvent plus se contenir. A Madrid, des pamphlets à la main, brûlans d’énergie et de patriotisme, sont colportés de maisons en maisons et appellent tous les Espagnols aux armes. Murat a beau prendre une attitude menaçante, doubler les postes, faire promener ses canons à travers la ville ; la haine, dans le peuple, est plus forte que la peur : il brave, il insulte notre drapeau, et des assassinats partiels préludent au soulèvement organisé des masses. Déjà, en plusieurs villes, notamment à Burgos et à Tolède, des collisions ont éclaté entre les habitans et nos soldats. Des deux côtés, le sang a coulé, et chaque jour voit tomber dans nos rangs de nouvelles victimes. Tout annonce une commotion violente et prochaine ; Murat y est préparé.

Le 1er mai, ce prince annonça à la junte suprême que le roi Charles IV appelait à Bayonne sa fille, l’ex-reine d’Étrurie, son plus jeune fils, don Francisco de Paula, et son frère, l’infant don Antonio. La junte répondit que, l’infant de Paula n’étant âgé que de treize ans, elle ne pouvait l’envoyer à Bayonne sans un ordre formel signé de la main du roi Ferdinand. Murat insista, déclarant qu’il prenait tout sous sa responsabilité. La junte, agitée par ses scrupules et intimidée cependant, n’osait se prononcer, elle passa à délibérer toute la nuit du 1er  au 2 mai ; enfin elle céda à la force et consentit au départ. Le 2 au matin, les voitures qui devaient emmener les infans stationnaient devant le palais ; la foule, bruyante et passionnée, les entourait. La reine d’Étrurie parut la première ; elle descendit précipitamment les degrés du palais, se jeta dans une des voitures avec ses deux enfans et partit. Cette princesse avait quitté Madrid fort jeune pour aller régner en Toscane ; elle était presque une étrangère pour les Espagnols. Quand le malheur qui poursuivait sa maison l’eut ramenée dans sa patrie, elle embrassa avec ardeur la cause des souverains déchus. Le peuple ne le lui avait point pardonné ; et il la vit partir avec une sorte de joie. C’est sur une tête plus jeune qu’il avait reporté toutes ses sollicitudes. Le bruit se répand qu’on veut enlever l’infant don Francisco de Paula et le conduire à Bayonne ; on dit qu’il pleure et ne veut point partir. Les voitures sont prêtes, les