Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/711

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont sa majesté elle-même serait investie. » Ce décret parvint en duplicata à la junte suprême : le primata fut intercepté[1].

Le 4 mai, deux députés, choisis par la junte suprême, arrivèrent déguisés à Bayonne. Ils échappèrent à la vigilance de la police impériale, se mirent en secrète communication avec Ferdinand et lui soumirent les demandes suivantes : Consentait-il à ce que la junte se substituât, en cas de besoin, une ou plusieurs personnes prises dans son sein ou en dehors, afin qu’elles se transportassent dans un lieu où elles pourraient agir avec liberté ? Voulait-il qu’on commençât les hostilités contre l’armée française, et, dans ce cas, quand et comment ? Fallait-il, dès ce moment, s’opposer à l’entrée de nouvelles troupes françaises en Espagne ? Jugeait-il que l’on devait procéder immédiatement à la convocation des cortès ? Enfin, de quels objets devraient-elles s’occuper ?

Le prince répondit le lendemain, 5 mai, aux députés de la junte, qu’il n’était pas libre. « Il ne pouvait conséquemment prendre aucune mesure pour la conservation du souverain et de la monarchie ; mais il donnait à la junte des pouvoirs illimités ; il l’autorisait, par un décret formel, à se transporter partout où elle le jugerait convenable, et à exercer, au nom du roi, toutes les fonctions de la souveraineté. Les hostilités devraient commencer du moment où le roi serait conduit dans l’intérieur de la France, ce à quoi, disait-il, il ne consentirait jamais, à moins qu’il n’y fût absolument forcé. » Un second décret, rendu le même jour que le précédent, portait que « les cortès s’assembleraient dans le lieu le plus convenable, qu’elles s’occuperaient d’abord de lever

  1. Les anxiétés du jeune prince se peignent tout entières dans la lettre suivante, qu’il avait écrite le 28 avril à son oncle don Antonio, qui fut aussi interceptée, et à laquelle Charles IV, dans sa lettre du 2 mai à son fils, avait fait allusion :
    « CHER AMI,
    « J’ai reçu ta lettre du 22, et j’ai lu les copies des deux autres qu’elle renferme, celles de Murat et sa réponse. J’en suis satisfait. Je n’ai jamais douté de ta prudence et de ton amitié pour moi : je ne sais comment t’en remercier.
    « L’impératrice est arrivée ici hier au soir à sept heures. Il n’y eut que quelques petits enfans qui crièrent vive l’impératrice ; encore ces cris étaient-ils bien froids. Elle passa sans s’arrêter et fut de suite à Marac. J’irai lui rendre visite aujourd’hui.
    « Cevallos a eu hier un entretien fort vif avec l’empereur qui l’a appelé traître, parce qu’ayant été ministre de mon père, il s’est attaché à moi, et que c’était là la cause du mépris qu’il avait pour lui. Je ne sais comment Cevallos a pu se contenir, car il s’irrite facilement, surtout en entendant de tels reproches. Je n’avais pas connu jusque-là Cesallos ; je vois que c’est un homme de bien qui règle ses sentimens sur les véritables intérêts de son pays, et qu’il est d’un caractère ferme et vigoureux, tel qu’il en faut dans de semblables circonstances.
    « Je t’avertis que Marie-Louise (l’ex-reine d’Étrurie) a écrit à l’empereur qu’elle fut témoin de l’abdication de mon père, et qu’elle assure que cette abdication ne fut pas volontaire. Gouverne bien et prends des précautions, de peur que ces maudits Français n’en agissent mal avec toi. Reçois les assurances de mon tendre attachement. »