Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/710

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Quelle a été votre conduite ? vous avez mis en rumeur tout mon palais ; vous avez soulevé mes gardes contre moi ; votre père lui-même a été votre prisonnier : mon premier ministre, que j’avais élevé et adopté dans ma famille, fut traîné sanglant de cachot en cachot ; vous avez flétri mes cheveux blancs ; vous les avez dépouillés d’une couronne portée avec gloire par mes ancêtres et que j’avais conservée sans tache… J’ai eu recours à l’empereur non plus comme un roi à la tête de ses troupes et environné de l’éclat du trône, mais comme un roi malheureux et abandonné. J’ai trouvé protection et refuge au milieu de ses camps ; je lui dois la vie, celle de la reine et de mon premier ministre. Il connaît tous les outrages que j’ai reçus et les violences qu’on m’a faites. Il m’a déclaré qu’il ne vous reconnaîtrait jamais pour roi, et que l’ennemi de son père ne pouvait inspirer aucune confiance aux étrangers. D’ailleurs, il m’a montré des lettres de vous qui attestent votre haine pour la France. En m’arrachant la couronne, c’est la vôtre que vous avez brisée. Votre conduite envers moi, vos lettres interceptées, ont mis une barrière d’airain entre vous et le trône d’Espagne. Il n’est ni de votre intérêt ni de celui des Espagnols que vous y prétendiez. Gardez-vous d’allumer un feu dont votre ruine totale et le malheur de l’Espagne seraient la suite inévitable. Je suis roi du droit de mes pères ; mon abdication a été le résultat de la force et de la violence ; je n’ai donc rien à recevoir de vous. Je ne puis adhérer à aucune réunion des députés de la nation. C’est encore là une faute des hommes sans expérience qui vous entourent. J’ai régné pour le bonheur de mes sujets ; je ne veux point leur léguer la guerre civile, les émeutes, les assemblées populaires et les révolutions. Tout doit être fait pour le peuple et rien par le peuple. Oublier cette maxime, c’est se rendre coupable de tous les crimes qui dérivent de cet oubli… Lorsque je serai assuré que la religion de l’Espagne, l’intégrité de nos provinces, leur indépendance et leurs privilèges seront maintenus, je descendrai dans le tombeau en vous pardonnant l’amertume de mes dernières années. »


Le jeune prince répondit à son père le 4 mai. Sa lettre était digne et habile. Il se disculpait de toute participation personnelle à l’émeute d’Aranjuez et s’attachait à démontrer que l’acte d’abdication de Charles IV avait été volontaire. Il déclarait qu’une renonciation comme celle qu’on lui demandait ne pouvait avoir lieu sans le consentement formel de tous les individus qui avaient ou pouvaient avoir un droit à la couronne, et encore moins sans l’adhésion formelle de la nation espagnole, représentée par les cortès réunies dans un lieu de sûreté. Il finissait par renouveler son refus d’abdiquer, à moins que son père ne consentît à ce qu’il lui avait demandé dans sa lettre du 1er mai.

Le prince ne pouvait conserver la moindre illusion sur le sort qui l’attendait : ce n’était plus sa couronne qui était en question, c’était la liberté de sa personne et celle de tous les membres de sa famille. Alors il embrassa une résolution extrême : il informa secrètement son oncle, l’infant don Antonio, de sa position, et lui expédia un décret royal ainsi conçu : « La junte exécutera tout ce qu’elle jugera nécessaire pour le service du roi et du royaume, et, pour cet effet, elle a tous les pouvoirs