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et trop nombreuses pour qu’on puisse les expliquer par des distractions ou des interpolations légères. En outre, c’est en vain qu’on cherche un lien continu dans le poème, et rien n’y justifie le dessein annoncé à son début. Qu’ont de commun avec la colère d’Achille les combats devant le rempart des Grecs, les prouesses de Diomède, la mort de Dolon, l’entrevue d’Hector et d’Andromaque, le duel de Pâris et de Ménélas, etc. ? Continuons à citer : au premier chant, Jupiter promet à Thétis de punir tous les Grecs de l’outrage qu’Achille a reçu d’Agamemnon. A cet effet, Jupiter convoque l’assemblée des dieux : c’est au second chant du poème ; il décide du’Oneiros, ou le Songe, sera détaché auprès d’Agamemnon pour le tromper et l’obliger à quelque sottise. Or, Agamemnon ne se laisse pas tromper, et le projet du maître des dieux et des hommes est une machine fort inutile, ou plutôt, disent les disciples de Wolf, l’œuvre d’un premier rapsode est demeurée interrompue, et ses confrères ne s’en sont point mis en peine. Plus loin, dans le quatrième chant, Jupiter, oubliant tout-à-fait Thétis et le serment qu’il a fait, ouvre dans l’Olympe une nouvelle délibération sur la question de savoir si la paix se fera entre les Grecs et les Troyens ou si la guerre doit continuer. Nouvelle preuve que le quatrième chant ne peut avoir été composé par l’auteur du premier…

Homère n’a pas plus manqué d’avocats que Wolf d’auxiliaires. La question a été et est encore chaudement controversée en Allemagne. Tous les érudits conviennent qu’il existe de nombreuses interpolations dans les poèmes homériques ; mais des savans tels que Nitzsch, O. Müller, Welcker, soutiennent l’unité de composition. A leur sens, l’Iliade serait un poème primitivement composé par un seul auteur, mais altéré par des suppressions, et surtout par des additions. Entre ces différentes opinions, M. Grote a pris un parti moyen qui me semble fort sage. Je regrette de ne pouvoir reproduire ici toute son argumentation, qui est à mon avis un modèle de clarté et de méthode. Lachmann ayant tranché la question, avec une assurance toute germanique, en établissant qu’une épopée ne pouvait être inventée au VIIIe ou au VIIe siècle avant notre ère, c’est à réfuter cette décision que M. Grote s’attache d’abord. Il commence par établir que l’épopée est au contraire une des formes les plus anciennes de la poésie, et qu’à l’époque d’Homère on faisait autre chose que des ballades. Ce fait, il le met hors de doute, en prouvant qu’aucune des objections élevées contre l’unité de composition de l’Iliade n’est applicable à l’odyssée ; que ce dernier poème parfaitement suivi ne peut être, sauf toujours quelques interpolations, que l’ouvrage d’un seul auteur. L’examen de l’Odyssée avait été fort négligé jusqu’à présent, et la discussion a presque uniquement roulé sur l’Iliade. Or, entre le premier et le second de ces poèmes, il est impossible de supposer un intervalle de temps considérable, et, s’ils ne sont pas dus au