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ce fameux entretien dont le récit, publié par le chanoine, est un des documens les plus précieux de l’histoire de ce siècle. Napoléon commença par déclarer qu’il lui était impossible de ne point s’intéresser au sort du roi Charles IV, qui avait réclamé sa protection, que l’abdication de ce prince avait été forcée, et qu’il ne reconnaîtrait Ferdinand comme roi que lorsque son père aurait renouvelé librement son abdication en faveur de son fils ; puis, comme s’il était fatigué de feindre, il écarta tous les voiles, et dit que les intérêts de son empire exigeaient que la maison de Bourbon, ennemie implacable de la sienne, perdît le trône d’Espagne. « La nouvelle dynastie donnerait une bonne constitution, et, par son étroite alliance avec la France, garantirait l’Espagne contre tout ce que pourrait tenter la seule puissance qui pouvait lui nuire. Charles IV, persuadé que les infans ne pouvaient gouverner dans ces temps difficiles, était prêt à lui céder tous ses droits et ceux de sa famille ; mais l’empereur estimait Ferdinand, qui était venu le voir à Bayonne avec confiance ; il voulait traiter cette affaire avec lui, et le dédommager, autant que possible, ainsi que ses frères, de ce que sa politique l’obligeait à leur ôter en Espagne. Proposez donc de ma part à Ferdinand, ajouta-t-il, de renoncer à tous ses droits à la couronne d’Espagne, et de recevoir en échange l’Étrurie avec le titre de roi et une entière indépendance pour lui et ses héritiers mâles à perpétuité. Dites-lui que je lui ferai compter en pur don, pour son établissement, une année de revenu de ce dernier état. Lorsqu’un traité aura été signé à cet égard, je lui donnerai ma nièce en mariage pour l’assurer de toute mon amitié. Si le prince fait ce que je désire, l’Espagne conservera son intégrité territoriale, son indépendance, ses lois, sa religion et ses usages. Voilà tout mon système ; je ne veux rien pour moi, pas même un village. Si tout ceci ne convient pas à votre prince, il est libre de s’en retourner après que nous aurons fixé le terme de sa rentrée et l’époque où nous commencerons les hostilités. »

Le chanoine Escoïquitz exprima sa surprise et sa douleur en entendant des propositions qui n’étaient pas même soupçonnées de son roi et de sa nation. Il s’étendit longuement sur la révolution d’Aranjuez, et s’attacha à bien convaincre l’empereur que l’abdication de Charles IV avait été volontaire. Napoléon combattit l’opinion du chanoine, et le débat sur ce point se prolongea quelque temps jusqu’à ce que l’empereur le tranchât en disant : « Laissons cela, et dites-moi, chanoine, si je peux oublier que les intérêts de ma maison et ceux de mon empire veulent que les Bourbons ne règnent plus en Espagne. Il est impossible que vous ne voyiez pas comme moi que, tant qu’il existera des Bourbons sur ce trône, je n’aurai avec l’Espagne aucune alliance sincère. Ils sauront feindre tant qu’ils seront seuls et dans l’impossibilité de me nuire ; mais, lorsqu’ils me verront occupé dans une guerre du Nord, ce qui ne peut manquer d’avoir lieu, ils se réuniront à mes ennemis. Rappelez-vous