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contre les menées de leurs ennemis. Puis, il revint à Madrid, où il se mit immédiatement en communication avec les principaux conseillers de Ferdinand, avec le chanoine Escoïquitz, les ducs de San-Carlos et de l’Infantado. C’est à la suite de ces conférences qu’il sollicita l’honneur d’être présenté au jeune prince. Afin de simplifier toutes difficultés d’étiquette, ou plutôt, il faut bien le dire, pour mieux abuser le prince, il prit la qualité de simple voyageur, ce qui lui permit de traiter Ferdinand en roi. L’entrevue eut lieu le 8 avril, en présence du chanoine Escoïquitz, du duc de l’Infantado et de don Pedro Cevallos, qui avait conservé sous le nouveau roi le poste de ministre des affaires étrangères. Quelles ont été les paroles textuelles adressées par l’aide-de-camp de l’empereur au jeune prince ? Ce point est encore aujourd’hui enveloppé d’obscurité. S’il faut en croire don Pedro Cevallos[1] et Ferdinand lui-même[2], le général Savary aurait dit au jeune prince qu’il était envoyé pour le complimenter et savoir s’il avait pour la France les mêmes sentimens que son père ; que, dans ce cas, l’empereur ne se mêlerait aucunement de ce qui s’était passé et qu’il le reconnaîtrait comme roi. Le récit du duc de Rovigo diffère entièrement de celui de M. de Cevallos. Bien loin d’entretenir les illusions de Ferdinand, le général Savary lui aurait dit, au contraire[3], que son souverain avait conçu autant d’inquiétude que de déplaisir de la révolution d’Aranjuez, et qu’il ne prendrait aucun parti avant de s’être entendu avec Charles IV, car, aurait-il ajouté, il savait tout ce qu’il pouvait perdre par l’effet de la retraite de ce prince, et il n’y resterait pas indifférent avant de connaître sur quel pied il serait avec son successeur.

La vérité est bien difficile à démêler au milieu de ces récits contradictoires. Évidemment, le général Savary n’avait été envoyé à Madrid que pour décider Ferdinand à se rendre à Bayonne ; mais il a dû ne s’exprimer vis-à-vis du prince et de ses conseillers que d’une manière vague et indécise, n’être ni trop pressant ni trop réservé, éviter par-dessus tout d’engager la parole et l’honneur de son maître, et faire entendre de douces et rassurantes paroles, sans qu’elles pussent être interprétées comme une promesse formelle que l’empereur reconnaîtrait Ferdinand. Il n’est donc pas admissible qu’il ait tenu le langage précis, affirmatif, que lui a prêté don Pedro Cevallos. Il ne l’est pas moins qu’il se soit renfermé dans des termes aussi froids, aussi réservés, qu’il le dit dans ses mémoires. Voici, au surplus, ce que M. de Beauharnais écrivait, le 9 avril, à M. de Champagny[4] : « Il est difficile de peindre la joie que les habitans de Madrid ont témoignée hier soir, lorsqu’ils ont

  1. Mémoire de don Pedro Cevallos, pages 27 et 28.
  2. Lettres de Ferdinand à son père, 8 avril et 4 mai 1808.
  3. Mémoires du duc de Rovigo, volume III, page 278 et suivantes.
  4. Dépôt des archives des affaires étrangères.