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manifeste guère que par des actes individuels, des vœux et des sacrifices, espèce de contrat entre l’homme et la divinité au moment du péril. Cependant un sentiment de respect pour les dieux se mêle déjà dans les engagemens des mortels entre eux. Le lien qui unit un Grec à son père, à son parent, à son hôte, à quiconque lui donne ou en reçoit un serment, ce lien, dis-je, est considéré comme en rapport avec l’idée de Jupiter qui en est le témoin et le garant ; association remarquable attestée par quelque surnom caractéristique du dieu. Voilà, suivant l’observation fort juste de M. Grote, en quoi consistaient toutes les idées de morale d’un héros des anciens âges. La loi n’était pas séparée de la religion ni des relations particulières ; le mot même de loi, avec l’idée qu’on y attacha plus tard, est inconnu aux poètes du cycle épique. Alors en effet la société n’accordait aucune protection à l’individu hors d’état de se faire respecter par ses propres forces.

L’amour de la patrie, si puissant dans les républiques grecques à l’époque de leurs démêlés avec les Perses, semble n’avoir été d’abord qu’un attachement vague au sol, une disposition à la nostalgie, et les relations de famille constituent le lien principal entre les individus. Dans la suite, le patriotisme et les sentimens d’orgueil exclusif qui en sont la conséquence affaiblirent probablement ces affections du foyer domestique. Dans la Grèce libre du Ve siècle avant notre ère, on voit les femmes traitées en esclaves par leurs maris. L’amour des ames est presque inconnu, ou bien ce ne sont pas les femmes qui l’inspirent. Au contraire, dans les temps héroïques, elles exercent une influence considérable, et dans toutes les légendes leur rôle est important. La femme est-elle condamnée à perdre son empire dans les gouvernemens libres ?

Nous ne suivrons pas M. Grote dans son long examen des mœurs héroïques, un des morceaux les plus intéressans de son travail, mais qui nous éloignerait du plan que nous nous sommes tracé. J’aime mieux passer à un autre chapitre : c’est une dissertation curieuse sur les poèmes d’Homère, source principale de nos connaissances sur les premiers âges de la société grecque. Un témoignage de cette importance méritait d’être discuté dans le plus grand détail, et l’auteur, en traitant la question si souvent débattue de l’origine des poèmes attribués à Homère, a montré la critique la plus judicieuse, et même a émis quelques idées nouvelles dont je vais essayer de rendre compte.

On n’a jamais pu fixer, je ne dirai pas avec certitude, mais avec quelque précision, la date de l’Iliade et de l’Odyssée, admirables débris d’un grand cycle épique qui a disparu. D’après Hérodote, la plupart des critiques modernes s’accordent à poser les limites de nos incertitudes entre les années 850 et 776 avant notre ère. On sait que les deux épopées ne furent point écrites d’abord, mais que pendant assez long-temps elles furent apprises par cour et récitées par une classe d’hommes