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peur. C’étaient là des considérations d’une très grande force, et toutes les subtilités de l’esprit ne parviendront pas à les amoindrir. Cependant la spoliation de la couronne d’Espagne était un attentat si odieux, elle présentait des difficultés d’exécution si grandes, elle devait entraîner des conséquences si désastreuses, qu’à tout prendre, il y avait certainement bien plus d’avantage à ne point s’y engager et à reconnaître Ferdinand VII. Ce jeune prince n’avait alors qu’une idée fixe, qu’un intérêt pressant : c’était de régner. Pour s’affermir sur ce trône où l’émeute l’avait porté avant le temps et d’où il ne pouvait plus descendre sans perdre sa liberté et peut-être la vie, il se fût donné tout entier au chef de la France ; il n’est point de concessions auxquelles il ne se fût résigné. Ces provinces du nord dont Godoy n’aurait jamais osé signer l’abandon, lui, roi d’Espagne, devenu le rival heureux et le successeur de son père, il n’eût pas hésité à les céder en échange du Portugal, si, à cette condition, l’empereur avait consenti à le reconnaître. Ajoutons que lui seul possédait assez la confiance et l’amour de son peuple pour lui faire supporter un aussi grand sacrifice. Une alliance avec une princesse de la famille impériale eût cimenté l’œuvre de la force et assuré pendant bien des années la sécurité de nos provinces du midi. Protégés par deux grands boulevards, l’Èbre et les Pyrénées, appuyés sur toutes les places de la Catalogne de la Navarre et du Guypuscoa, nous eussions été en mesure, quels que fussent les événemens, de braver et de contenir l’inimitié des Espagnols.

Cette nation sortait enfin de sa longue apathie : elle commençait à envahir la scène, elle était devenue une force avec laquelle il fallait absolument compter ; mais elle était pleine de préjugés, d’ignorance et d’illusions. La régénération de son gouvernement se réduisait pour elle à un changement de règne ; elle ne voyait rien au-delà. Ferdinand était son idole. Voici ce que M. de Beauharnais écrivait le 5 avril à M. de Champagny : « Le peuple espagnol brûle de connaître le parti que prendra l’empereur, il attend de lui son salut ; mais, ce qu’il veut surtout, c’est le prince des Asturies. À cette condition, il souffrira tous les sacrifices qu’on voudra lui imposer. » Le 7 avril, il écrivait encore : « L’enthousiasme pour Ferdinand est à son comble. La nation espagnole paraît calme, mais il ne faudrait qu’une étincelle pour l’embraser ; elle observe avec attention tout ce qui se passe autour d’elle. » Quels seraient sa surprise et son désespoir le jour où elle verrait le chef de la France, auquel elle se livrait avec tant d’abandon, s’emparer de la couronne et la placer sur le front d’un Bonaparte ! Quelle témérité n’y aurait-il pas à choisir le moment où toute l’Espagne venait en quelque sorte de placer sur le trône son jeune roi pour le frapper dans ses droits souverains et le renverser ! Une explosion terrible éclaterait à coup sûr. Ferdinand, encore ennobli par ses malheurs, deviendrait pour