dû éviter de se trouver en contact avec l’autorité de ce prince. Occuper la capitale dans un tel moment, c’était compliquer sa position, déjà si embarrassante, de difficultés d’étiquette inextricables ; c’était venir insulter à l’élévation de Ferdinand et à l’orgueil d’une population ivre d’enthousiasme et d’amour pour son jeune souverain. Il aurait dû prendre une attitude calme, réservée, se tenir à distance, tout voir, tout entendre, laisser à l’empereur la liberté entière de ses résolutions, et attendre ce qu’il aurait décidé. Malheureusement le grand-duc ne portait point dans cette grande affaire un esprit désintéressé. A la vue de cette famille d’Espagne déchirée par ses haines intestines, de cette reine acharnée contre son fils, de ce fils qui venait de détrôner son père, de ces vieux souverains impatiens de ressaisir une couronne qu’ils ne pouvaient plus porter, il devina que Napoléon profiterait de leurs discordes pour les écarter tous et mettre à leur place un prince de sa propre famille. Mais sur quel front poserait-il cette belle couronne ? Joseph régnait à Naples, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie ; Lucien était en disgrace ; la famille impériale n’offrait plus un seul prince disponible. Un sentiment personnel, égoïste, envahit le cœur de Murat ; il osa élever ses prétentions jusqu’au trône d’Espagne. Cette préoccupation ne cessa de dominer toute sa conduite et nous fut bien fatale. Il vit dans Ferdinand un rival, et fut aussitôt tourmenté du désir puéril de l’éclipser. Il s’imagina qu’en prenant immédiatement possession de Madrid, il remplirait toute la population de crainte et de respect pour le drapeau de la France, l’accoutumerait à son autorité personnelle, et comprimerait l’élan qui entraînait tous les cœurs vers Ferdinand.
Le 23, il fit dans la capitale de l’Espagne une entrée théâtrale. Les bataillons de la garde impériale ouvraient la marche. Puis venaient la cavalerie et l’artillerie. Lui-même, avec son plus brillant costume, ses armes les plus étincelantes et sa toque panachée, monté sur un cheval magnifique, s’avançait au milieu de la vieille garde. C’était là la partie saisissante du tableau. La foule, pressée sur le passage des troupes, ne pouvait se lasser de contempler ces vieux soldats de la garde, au visage basané et à l’aspect martial ; mais bientôt la scène changea, et, avec elle, les impressions des spectateurs. Après les corps d’élite s’avançaient nos bataillons d’infanterie. Ils étaient composés, en majeure partie, de jeunes soldats déjà très fatigués par des marches forcées. A la vue de ces conscrits imberbes, les habitans de Madrid, comme naguère ceux de Lisbonne[1], ne ressentirent plus que du dédain et une sorte de pitié. Murat manqua complètement l’effet qu’il avait voulu produire.
- ↑ Les Espagnols admirent la cavalerie française, la garde, les généraux ; mais l’infanterie, harassée, composée de conscrits, leur fait pitié, et la lutte corps à corps ne les effraie point. (Dépêche de M. Henri, ministre de Prusse à Madrid.)