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Sa lettre, datée du 20 mars, exprimait la déférence la plus respectueuse pour ce grand prince. « La santé de mon père dépérissait, dit-il : la divine Providence m’ayant appelé au gouvernement de mes peuples, ma première loi est d’en informer votre majesté. Les sentimens d’estime et d’admiration que je nourris pour votre majesté impériale seront un sûr garant de l’inviolabilité avec laquelle je tâcherai de resserrer l’alliance intime qui subsiste si heureusement entre les deux empires, en faisant tous les efforts qui seront en mon pouvoir pour coopérer aux vastes plans que votre majesté aura conçus contre l’ennemi commun. » Les ducs de Frias et de Medina-Coeli et le comte de Fernand-Nunez, tous trois grands d’Espagne de première classe, furent chargés de porter cette lettre à l’empereur et de lui notifier officiellement l’avènement du nouveau roi.

Charles IV avait abdiqué, le 19 mars 1808, sous l’impression de la peur, au milieu de la sédition du peuple et des soldats. Quand l’émeute fut apaisée, que les vieux souverains se virent seuls, délaissés par tous les courtisans, sans pouvoir, sans gardes, sans argent, et livrés à la discrétion d’un fils rebelle et d’un parti exalté par la victoire, ils eurent horreur de leur situation et se prirent à regretter le trône. Ils députèrent vers Murat pour l’informer que leur fils, le prince des Asturies, leur avait fait violence, et le conjurer de presser sa marche, afin de les protéger contre les mauvais desseins de leurs ennemis.

Le grand-duc de Berg n’était plus qu’à quelques journées de Madrid quand il reçut la nouvelle de la révolution d’Aranjuez et bientôt après les lettres pressantes de Charles IV et de la reine. Elles le jetèrent dans une grande perplexité : il ne savait pas le jugement que l’empereur porterait sur les événemens qui venaient de se passer ; il ne pouvait traiter Ferdinand en roi. Les vieux souverains, détrônés par la révolte, imploraient sa protection ; son devoir était de la leur accorder. En conséquence, il pressa sa marche, et leur envoya, pour les rassurer, son aide-de-camp le général Monthyon. Charles IV remit à ce général un acte de protestation contre son abdication et une lettre adressée à l’empereur, dans laquelle il accusait son fils Ferdinand d’avoir soulevé les troupes contre lui et de lui avoir en quelque sorte arraché sa couronne. Il se jetait dans les bras de son puissant allié et le rendait l’arbitre de ses destinées. L’acte de protestation et la lettre portaient la date du 21 mars ; mais, ce jour-là, la tempête populaire durait encore : Charles IV et la reine étaient à la merci du peuple insurgé ; comment auraient-ils osé protester sous l’impression de terreur qui les dominait alors ? Ils n’ont dû s’y déterminer qu’après avoir vu le général Monthyon et s’être concertés avec lui, c’est-à-dire le 23. Murat arriva avec son armée ce jour-là même sous les murs de Madrid. Il eût été sage de n’y point entrer. Puisqu’il lui était interdit de reconnaître Ferdinand, il aurait