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général pouvait faire craindre une explosion prochaine, et les suspects, jetés par douzaines sur les pontons ou dans la triste prison du Limoeiro, voyaient luire déjà le jour de la délivrance ; mais toute insurrection qui ne prend pas l’offensive est à moitié battue. Sà da Bandeira, attaqué à Chaves, sur la frontière d’Espagne, par le baron Cazal, se vit abandonné d’une partie de ses troupes de ligne et véritablement vaincu, puisque sa force morale était compromise. La désertion commençait ; des soldats rentraient par groupes de deux ou trois à Lisbonne, où des officiers supérieurs, qui semblaient guetter leur retour, les accueillaient à bras ouverts comme des enfans prodigues, et les choses allèrent de telle sorte, que bientôt l’insurrection n’eut plus de cavalerie. Dès-lors la supériorité fut acquise à l’armée royale ; quelques centaines de cavaliers devinrent l’épouvante des bandes indisciplinées, des guerilhas, qui n’osaient attendre leurs charges impétueuses. Das Antas, abandonnant Santarem, chercha à opérer sa jonction avec le corps de Bomfim ; le vieux maréchal Saldanha, malgré le mauvais état des chemins détrempés par des pluies incessantes, malgré la difficulté de traîner à sa suite dans des marches rapides ces soldats que les moindres froids découragent, prévit ce mouvement et le déjoua. La journée de Torres Vedras termina le premier acte de ce triste drame ; Bomfim prisonnier, son fils tué, l’ancien ministre Mousinho d’Albuquerque blessé mortellement, toute la division des rebelles forcée de déposer les armes et de se rendre à discrétion après un combat sanglant tel fut le résultat de cette bataille, qui remplit de deuil la capitale. Le plus illustres familles du Portugal pleuraient quelque victime de cette déplorable catastrophe ; les forts et les pontons reçurent ceux des vaincus que les balles avaient épargnés. Ce n’était pas la première fois que, dans des circonstances pareilles, le maréchal de Saldanha et M. de Bomfim avaient eu à combattre l’un contre l’autre, après avoir défendu la même cause dans un temps meilleur. On dit que, quelques minutes avant l’engagement, le maréchal, certain d’avoir enveloppé son adversaire dans une position d’où il ne pourrait jamais sortir, recula devant la nécessité de faire couler tant de sang. Il écrivit à M. de Bomfim en lui rappelant leurs anciennes relations : « Compadre, tu es perdu, rends-toi. » Le chef de parti refusa cette capitulation, et, une demi-heure après, il voyait son fils tomber mort à ses pieds. Les forces royales étaient à peu près doubles de celles des insurgés. En apprenant ces détails, je me souvins des paroles d’un Portugais qui me disait : « Il s’attaqueront quand l’un des deux se croira sûr d’écraser l’autre. »

Notre intention n’est pas de suivre les péripéties de cette longue guerre qui ruine le Portugal ; ce que nous cherchons à faire connaître, c’est l’aspect de la capitale pendant ces tristes événemens et certaines circonstances qui peuvent servir à les expliquer. En se maintenant dans le