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des canonniers bourgeois, une cavalerie urbaine, citoyens paisibles troublés dans leur quiétude, contraints de se prononcer, et appelés sous les drapeaux par des proclamations menaçantes. On mit en réquisition les chevaux des habitans, on enleva les hommes au moyen de la presse. Des piquets de soldats de la garde municipale cernaient les ateliers, faisaient main-basse sur les ouvriers surpris dans leur travail, et poussaient vers les casernes ce troupeau docile, que suivaient en larmoyant des enfans et des femmes. Deux cents individus, employés à la manufacture des tabacs, furent pris d’un coup de filet. Les raccoleurs tendaient aussi leurs piéges dans les rues. Deux d’entre eux se plaçaient en embuscade aux deux extrémités d’une ruelle, et, si quelque paysan robuste s’y engageait imprudemment, un coup de sifflet donnait le signal : les soldats se précipitaient sur lui et le déclaraient de bonne prise avant qu’il eût le temps de se reconnaître : spectacle honteux, qui m’avait révolté dans les provinces turques et que je ne m’attendais pas à retrouver dans un pays civilisé ! Peut-on faire ainsi de vrais soldats ? Non ; mais on a des automates qui le lendemain exercent sur le passant la même violence. Tels étaient les défenseurs plus ou moins dévoués, les prétendus volontaires dont la cour s’entourait. Il faut avouer aussi que les insurgés comptaient dans leurs rangs beaucoup de populares qui ne valaient guère mieux, et ne prenaient pas toujours les armes de plein gré. Dans les guerres civiles, on obéit au dehors à l’impulsion générale, mais au dedans à la peur. Le gouvernement se défiait des enrôlés, l’insurrection faisait peu de fonds sur les troupes réglées qui l’appuyaient. Ceci explique comment la cour chercha sans cesse à transporter le théâtre de la guerre loin de la capitale, dans la crainte que le voisinage des rebelles ne provoquât les volontaires de tous genres à la désertion, et pourquoi aussi Das Antas, malgré l’envie qu’il avait de se rapprocher de Lisbonne, n’osait mettre aux prises avec leurs frères d’armes de la veille, et jusque sous les murs du palais, les vrais soldats rassemblés sous ses drapeaux comme par hasard.

Das Antas occupait Santarem, ville importante qui commande le Tage et qu’une distance de quinze lieues seulement sépare de Lisbonne ; le duc de Saldanha n’osa l’y attaquer. Toutefois quelques engagemens eurent lieu, dont on ne parla pas et qu’on apprit vaguement par le retour des blessés que les hôpitaux recevaient la nuit à l’insu des habitans. On ne publiait pas de bulletins qui eussent éclairé les familles sur le sort des citoyens violemment enrôlés. Une bande de paysans révoltés se montrait à Cintra, à cinq lieues des murs ; repoussée par la garnison de Lisbonne, après un combat où dix hommes selon les uns, deux cents selon les autres, avaient succombé, la guerilha se retranchait sur les hauteurs à l’abri de toute poursuite. L’inquiétude allait croissant, on appelait tout bas dona Maria la reine de Lisbonne, ce mécontentement