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calibre, la difficulté du terrain ne permettant guère à la grosse artillerie de suivre les divisions. C’était une armée composée de ces élémens divers et montant au plus à quatre mille hommes, qui, après avoir été passée en revue sur la place dont elle remplissait le parallélogramme tout entier, défila à travers Lisbonne pour se montrer à la reine. Quel vacarme faisaient ces dix musiques, trop rapprochées les unes des autres et jouant toutes le même air, celui des chartistes, la Portugaise ! Quel luxe déployaient tous ces sapeurs bigarrés, pareils à des scarabées diaprés de rose et de bleu, qui balançaient fièrement leurs bonnets à poil et leurs colbacks ! En avant de ces lignes, où l’on distinguait des soldats improvisés, marchaient le roi en grand uniforme et l’aîné de ses fils, le colonel en miniature, que semblait protéger de sa présence et de son regard le maréchal à barbe blanche : spectacle qui eût été touchant sans doute, s’il se fût agi de défendre l’indépendance du pays et non de soutenir la volonté irréfléchie d’une cour mal conseillée contre les désirs de tout un peuple !

Le sort en était jeté ; l’armée allait partir. La reine voulut prendre congé de ses défenseurs par un baise-main solennel, qui eut lieu à Campo-Grande : c’est un champ très vaste, entouré de petits murs, planté de quelques rangs de vieux arbres et situé à une grande lieue au nord de Lisbonne. Chaque année, à la fin d’octobre, il s’y tient une foire célèbre, d’un aspect curieux et pittoresque, bruyante et animée, bien qu’elle soit à peine l’ombre de ce qu’elle fut dans les beaux temps du Portugal. Les troupes, rangées en bataille, attendaient la reine, qui parut dans une calèche découverte, dont on détela les quatre chevaux ; elle avait à ses côtés les deux petites princesses ; les jeunes princes accompagnaient le roi, leur père. Tous les officiers vinrent, l’un après l’autre, présenter l’hommage de leur fidélité à dona Maria et à sa famille rassemblée. Le maréchal Saldanha, créé duc la veille de ce grand jour, prononça une harangue avec les gestes singuliers que ne néglige jamais l’orateur portugais, harangue assez courte, qui signifiait : Point de transactions avec les rebelles, avec les parjures !… Puis l’armée s’éloigna, laissant, au milieu de ce champ immense, la reine seule avec ses deux filles, trop jeunes pour avoir rien compris à cette scène fatigante et visiblement ennuyées. Quelques instans s’écoulèrent avant qu’on remît les chevaux à la voiture ; ils durent paraître longs à dona Maria, si la pensée du flot populaire se retirant d’elle et l’abandonnant sur le rivage traversa son esprit.

Ceci se passait au commencement de novembre. Quand la capitale eut été dégarnie de la presque totalité des troupes qui en formaient la garnison, il fallut lever de nouveaux régimens. Les employés durent prendre l’uniforme pour ne plus le quitter ; le commerce s’organisa en bataillons ; il y eut des volontaires de la charte, des régimens d’ouvriers,