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placée à la tête des provinces jalouses, elle s’efforce de leur montrer le pas et de les entraîner dans sa sphère. Lisbonne, au contraire, est la capitale du Portugal maritime et guerrier, du Portugal vieilli, auquel l’émigration de la cour au Brésil porta le dernier coup. Quelle espérance peut animer cette population agglomérée sur un point d’où le commerce et le mouvement se sont retirés ? De là cette tristesse qui frappe l’étranger, habitué à sentir ailleurs le souffle de la vie passer sur les grandes cités. Et puis les coutumes locales, empreintes de je ne sais quelle défiance, contribuent encore à augmenter cette impression. Frappez en plein jour à la porte d’une de ces maisons qu’on nomme palais, et qui ne vous rappelleront ni ceux de Gênes, ni ceux de Venise ; frappez vigoureusement : personne ne répond. Un voisin curieux, vous ayant reconnu pour étranger, se met à la fenêtre et vous engage à prendre patience. Frappez donc à coups redoublés, ébranlez ces appartemens immenses d’autant plus sonores qu’ils sont à peu près vides, puis écoutez… Le serviteur que vous avez arraché au sommeil descend l’escalier ; un à un il tire les verrous, et une lourde porte s’ouvre enfin. Vous croyez entrer : attendez que le portier vous interroge à travers les arabesques d’une seconde porte de fer. En vérité, ne croirait-on pas être au guichet d’un de ces couvens chrétiens de l’Orient, où les religieux se regardent toujours comme en état de siège ? Une fois admis dans l’hôtel, vous y trouvez une politesse antique, un peu cérémonieuse, les mœurs et la langue choisie de la France du dernier siècle. Le maître du lieu vous a conduit discrètement droit au salon, vaste pièce dont les murs sont incrustés de faïences peintes (azulejas) jusqu’à hauteur d’appui et ornés de peintures quelconques dans la partie supérieure. Un canapé et des chaises de bambou, une console à glace, dans le goût de Jean V, composent tout l’ameublement, que ne rehaussent ni tableaux, ni gravures, ni objets d’art. Après quelques instans d’une visite qui paraît faire événement dans la maison, l’hôte vous reconduit, en vous précédant, jusqu’à la porte massive qui a déjà refermé sur vos pas tous ses verrous. Pendant l’hiver, quel air glacial traverse ces grands palais ! Un air vif et fin, comme on dit à Lisbonne, un vent pareil au mistral. Point de cheminées, pas même de ces braseros autour desquels les familles espagnoles, par l’effet d’une naïve illusion, croient sentir la chaleur qui manque au dehors. Le Portugais a juré de ne pas se chauffer ; après avoir cherché l’ombre durant plus de huit mois, il cherche le soleil pendant son court hiver, il le poursuit partout, sur les quais, sur les places, à la fenêtre. Accoudé sur son balcon, un manteau sur les épaules, les pieds dans un sac de paille, il grelotte tristement, mais avec une héroïque patience. Et puis, sauf quelques semaines de pluies tropicales mêlées d’éclairs, le soleil brille toujours,