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d’un peuple qui pouvait, par son exemple, les maintenir dans la paresse, ils ont perdu l’horreur du travail particulière à leur race.

Le rendez-vous de toutes les classes indigentes, c’est le marché au poisson, le quai, le port, le Tage enfin. Ce grand fleuve, qui, dans des temps plus heureux, a attiré sur ses bords une population exubérante, pourvoit encore aujourd’hui à sa subsistance, et c’est justice, car l’habitant de Lisbonne lui a tout sacrifié. Suivons le demi-cercle que forme la ville depuis Xabregas jusqu’à Bélem, et cherchons la campagne : nous ne voyons presque rien qui mérite ce nom. Dans les vallées les plus voisines s’étendent, il est vrai, de beaux vignobles entourés de murs, des vergers bien arrosés où l’on récolte en abondance des raisins comparables à ceux de la Sicile, des grenades dignes de la Grèce, des oranges et des citrons que les navires anglais enlèvent par cargaisons ; mais les quintas s’arrêtent subitement au pied de ces hauteurs, stériles pour la plupart, sur le penchant desquelles le rare laboureur promène lentement sa charrue attelée d’un seul bœuf. Des cactus, des agaves, plantes africaines qui poussent dans le sable ou à fleur de roc, entourent des champs à moitié incultes, où se montrent çà et là de pâles oliviers brûlés par le soleil et battus par le vent de la mer. On voit que les efforts du peuple de cette capitale maritime ne se sont point tournés vers l’agriculture ; l’habitant des campagnes a tout l’air de venir de loin et d’appartenir à une race distincte plus indépendante et plus laborieuse. Dans les rues de Lisbonne, on reconnaît le laboureur à sa bonne mine, à ses vêtemens simples, mais propres, à l’habit de paille dont il se revêt durant les pluies, comme le pâtre chinois. La femme des champs, coiffée d’un large chapeau, les jambes nues, mais la tête enveloppée d’un mouchoir, couverte d’un court manteau d’une forme assez élégante, traverse la ville d’un pas rapide, regardant droit devant elle, pressée de retourner dans sa solitude, comme l’indigène du Canada, dont elle semble avoir emprunté le costume.

La vue des champs est un des spectacles les plus désirables et les plus salutaires aux gens des grandes villes : à ceux qui travaillent rudement hors de la clarté du soleil, dans de sombres réduits ou d’étroits ateliers, ne montrent-ils pas la nature dans la plénitude de sa bienfaisance, dans l’éclat de sa richesse ? Là où la campagne manque, — et à notre sens elle fait défaut dans les trois quarts de la Péninsule, — le peuple est privé d’un des élémens les plus essentiels à la joie et au bien-être. A Lisbonne, ce que l’on voudrait, ce serait moins de ces riches vergers fermés aux promeneurs, et un peu de cette verdure que l’on peut fouler d’un pied libre : la masse des habitans y gagnerait la vivacité, je dirais presque la jeunesse qu’elle a perdue. Madrid est une capitale nouvelle, factice, qui lutte contre les inconvéniens de sa position ;