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une histoire de la Grèce, il faut rapporter les légendes des dieux et des héros, de même que pour écrire l’histoire des Arabes on doit analyser le Coran.

Peut-être le parti suivi par M. Grote est-il le plus sage. La tâche de l’historien n’est point celle de l’archéologue, et, pour en venir à l’expédition de Xercès et à la guerre du Péloponnèse, il n’est pas nécessaire de travailler à débrouiller la cosmogonie d’Hésiode. Cependant je ne puis être d’accord avec M. Grote sur l’opinion qu’il se forme des mythes. Quelque vive qu’il suppose l’imagination des Grecs, quelle que fût leur passion pour le merveilleux, je ne puis croire qu’ils aient inventé des contes uniquement pour le plaisir de conter. Son principal argument, qu’il emprunte à Platon, est celui-ci : « Après avoir interprêté une fable par une méthode quelconque, il faut nécessairement employer la même méthode pour une autre fable. Or, cela sera impossible : donc la mythologie est inexplicable. » Le raisonnement serait juste si la mythologie avait été fabriquée de toutes pièces par un seul homme et dans un certain système ; mais l’auteur de l’Histoire de la Grèce ne me paraît pas s’être rendu compte de la manière dont s’est formée la masse des légendes antiques. Nous avons essayé tout à l’heure d’en donner une idée, et l’on a pu voir combien d’élémens avaient concouru à leur composition. Le nom seul que tout à l’heure M. Grote donnait à la mythologie, ce fonds intellectuel des anciens, devait l’avertir qu’elle était l’œuvre de plusieurs mains et qu’elle renfermait les notions les plus variées. Un homme prend un livre dans une bibliothèque, il comprend les premières pages de ce livre et conclut avec raison qu’il comprendra le reste, si l’auteur a le sens commun ; mais peut-il inférer qu’il comprendra de même tous les livres de la bibliothèque ? Assurément non, car il ne sait pas d’avance si tous sont composés dans la même langue et traitent de sujets à sa portée. A mon sentiment, la mythologie est une bibliothèque, et pour en faire l’exploration il faut lire plus d’une sorte de caractères.

Puisque les mythes se composent d’élémens divers, on voit d’abord qu’il sera impossible de les expliquer tous par un système unique d’interprétation. Non-seulement le même système ne s’appliquera qu’à une certaine classe de légendes, mais quelquefois la même légende nécessitera l’emploi de plusieurs systèmes. Et cette variété n’a rien d’extraordinaire, car tout à l’heure on a pu voir, par l’exemple d’Hercule, que le personnage principal d’un mythe doit être considéré sous plusieurs aspects différens. La forme légendaire servant à exprimer des notions de toutes sortes, il arrive nécessairement que deux ou plusieurs ordres d’idées distinctes sont confondus dans le même récit. Pour étudier la mythologie, il faut avant tout, je pense, s’appliquer à connaître sa langue ; j’appelle ainsi les figures ou les métaphores par lesquelles les