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les mots rue des Orfèvres et rue des Argentiers, puis avouer que les boutiques y sont basses, étroites, peu garnies d’articles riches ; l’acheteur n’y abonde pas non plus. Le marchand portugais, tranquillement assis à son comptoir, ne montre guère d’empressement à vendre ; son but n’est point de faire une rapide fortune pour essayer ensuite le rôle de parvenu. Quelques amis oisifs viennent lui tenir compagnie dans sa solitude et causer à voix basse sur les malheurs du temps. Le long des trottoirs, les dames vêtues à la mode de France (non de Paris, mais de la province avant les chemins de fer) marchent lentement, deux à deux, jetant çà et là un regard de curiosité discrète sur les étalages, échangeant à peine une parole. Derrière les persiennes des balcons, d’autres senhoras embusquées jouissent du souverain bonheur de prendre part à la promenade en s’en épargnant la fatigue. Le nombre des spectatrices devient ainsi plus considérable que celui des passans, parce que la paresse engendre l’inaction, et, comme les femmes de la classe moyenne à Lisbonne ne veulent s’occuper à rien, elles finissent par s’écouter vivre en comptant les heures. Elles ne quittent guère leurs maisons que pour aller, à la fraîcheur du matin, se plonger dans les eaux du Tage durant huit mois de l’année et faire quelques visites ; pareilles aux dames musulmanes, qui ne connaissent du monde extérieur que le bain et les harems de leur famille. On ne peut nier qu’il n’y ait là quelque chose des mœurs de l’Orient. A la fin du dernier siècle, l’épouse d’un marchand de Lisbonne n’osait sortir sans la permission de son seigneur et maître, et de nos jours encore une servante refusera de paraître dans la rue, si elle n’est accompagnée d’une amie. Dans le costume des femmes du peuple on croirait voir un domino d’abord, en toutes saisons, il est le même, partant point de modes changeantes, point de ces caprices de toilette auxquels cède un mari débonnaire. Jeune ou vieille, riche ou pauvre, la Portugaise, qui n’ose aborder le chapeau parisien, portera invariablement le capote, manteau ample et long, et le lenço, mouchoir blanc posé en marmotte sur la tête. Comme il arrive souvent que le costume le plus ingrat, le plus discret, peut avoir sa coquetterie quand il est national, c’est-à-dire quand depuis des générations une population entière s’est appliquée à en tirer le meilleur parti, il n’est pas rare de découvrir sous cette chape malencontreuse et sous cette cornette bizarre d’élégantes tournures et de piquans visages. La lenteur de la démarche, l’immobilité résignée du regard, et je ne sais quel air de religieuse novice, prêtent à cet ensemble un charme mystérieux ; mais dans ces mouvemens compassés, dans cette foule qui semble marcher en procession, on ne trouve rien qui rappelle l’agitation mondaine de Madrid, ni la gaieté picaresque de Séville. On se croirait à mille lieues des Castilles et de l’Andalousie.

Dom Pedro voulut en vain réformer le costume des femmes du