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à l’époque où l’on pleurait jadis la mort du symbolique favori de Vénus. C’est près de l’endroit où cette rivière se jette dans la mer, qu’est situé Djébaïl, l’ancienne Bibles, où naquit Adonis, fils, comme on sait, de Cynire et de Myrrha, la propre fille de ce roi phénicien. Ces souvenirs de la fable, ces adorations, ces honneurs divins rendus jadis à l’inceste et à l’adultère indignent encore les bons religieux lazaristes. — Quant aux moines maronites, ils ont le bonheur de les ignorer profondément.

Le prince voulut bien m’accompagner et me guider dans plusieurs excursions à travers cette province du Kesrouan, que je n’aurais cru ni si vaste ni si peuplée. Gazir, la ville principale, qui a cinq églises et une population de six mille ames, est la résidence de la famille Hobeïsch, l’une des trois plus nobles de la nation maronite ; — les deux autres sont les Avaki et les Khazen. Les descendans de ces trois maisons se comptent par centaines, et la coutume du Liban, qui veut le partage égal des biens entre les frères, a réduit beaucoup nécessairement l’apanage de chacun. Cela explique la plaisanterie locale qui appelle certains de ces émirs princes d’olive et de fromage, en faisant allusion à leurs maigres moyens d’existence. Les plus vastes propriétés appartiennent à la famille Khazen, qui réside à Zouk-Mikael, ville plus peuplée encore que Gazir. Louis XIV contribua beaucoup à l’éclat de cette famille, en confiant à plusieurs de ses membres des fonctions consulaires. Il y a en tout cinq districts dans la partie de la province dite le Kesrouan-Gazir, et trois dans le Kesrouan-Bekfaya, situé du côté de Balbek et de Damas. Chacun de ces districts comprend un chef-lieu gouverné d’ordinaire par un émir, et une douzaine de villages ou paroisses placés sous l’autorité des cheiks. L’édifice féodal ainsi constitué aboutit à l’émir de la province, qui, lui-même, tient ses pouvoirs du grand émir résidant à Deïr-Khamar. Ce dernier étant aujourd’hui captif des Turcs, son autorité a été déléguée à deux kaïmakans ou gouverneurs, l’un Maronite, l’autre Druse, forcés de soumettre aux pachas toutes les questions d’ordre politique. Cette disposition a l’inconvénient d’entretenir entre les deux peuples un antagonisme d’intérêts et d’influences qui n’existait pas lorsqu’ils vivaient réunis sous un même prince. La grande pensée de l’émir Fakardin, qui avait été de mélanger les populations et d’effacer les préjugés de race et de religion, se trouve prise à contre-pied, et l’on tend à former deux nations ennemies là où il n’en existait qu’une seule, unie par des liens de solidarité et de tolérance mutuelle.

On se demande quelquefois comment les souverains du Liban parvenaient à s’assurer la sympathie et la fidélité de tant de peuples de religions diverses. À ce propos, le père Adam me disait que l’émir Bechir était chrétien par son baptême, Turc par sa vie et Druse par sa mort, — ce dernier peuple ayant le droit immémorial d’ensevelir les souverains