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des Turques leur est donc inutile ; — cependant, comme chez ces dernières, la teinture ombre leurs paupières et prolonge l’arc de leurs sourcils.

J’allai plus loin : c’étaient toujours des maisons d’un étage au plus bâties en pisé, les plus grandes en pierre rougeâtre, avec des toits plats soutenus par des arceaux intérieurs, des escaliers en dehors montant jusqu’au toit, et dont tout le mobilier, comme on pouvait le voir par les fenêtres grillées ou les portes entr’ouvertes, consistait en lambris de cèdre sculptés, en nattes et en divans, les enfans et les femmes animant tout cela sans trop s’étonner du passage d’un étranger ou m’adressant avec bienveillance le sal-kher (bonjour) accoutumé. — Arrivé au bout du village où finit le plateau de Bethmérie, j’aperçus de l’autre côté de la vallée un couvent où Moussa voulait me conduire ; mais la fatigue commençait à me gagner, et le soleil était devenu insupportable : je m’assis à l’ombre d’un mur auquel je m’appuyai avec une certaine somnolence due au peu de tranquillité de ma nuit. Un vieillard sortit de la maison et m’engagea à venir me reposer chez lui. Je le remerciai, craignant qu’il ne fût déjà tard, et que mes compagnons ne s’inquiétassent de mon absence. Voyant aussi que je refusais tout rafraîchissement, il me dit que je ne devais pas le quitter sans accepter quelque chose. Alors il alla chercher de petits abricots (mech-mech) et me les donna ; puis il voulut encore m’accompagner jusqu’au bout de la rue. Il parut contrarié en apprenant par Moussa que j’avais déjeuné chez le cheik chrétien. — C’est moi qui suis le cheik véritable, dit-il, et j’ai le droit de donner l’hospitalité aux étrangers. Moussa me dit alors que ce vieillard avait été en effet le cheik ou seigneur du village du temps de l’émir Bechir ; — mais, comme il avait pris parti pour les Égyptiens, l’autorité turque ne voulait plus le reconnaître, et l’élection s’était portée sur un Maronite.


VIII. – LE MANOIR.

Nous remontâmes à cheval vers trois heures, et nous descendîmes dans la vallée au fond de laquelle coule une petite rivière. En suivant son cours, qui se dirige vers la mer, et remontant ensuite au milieu des rochers et des pins, traversant çà et là des vallées fertiles plantées toujours de mûriers, d’oliviers et de cotonniers, entre lesquels on a semé le blé et l’orge, nous nous trouvâmes enfin sur le bord du Nahr-el-Kelb, c’est-à-dire le fleuve du Chien, l’ancien Lycus, qui répand une eau rare entre les rochers rougeâtres et les buissons de lauriers. Ce fleuve qui, dans l’été, est à peine une rivière, prend sa source aux cimes neigeuses du haut Liban, ainsi que tous les autres cours d’eau qui sillonnent parallèlement cette côte jusqu’à Antakié, et qui vont