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Beyrouth jusqu’à Saint-Jean-d’Acre. Le cheik de Bethmérie se plaignait sans doute au prince de ce que, dans la circonstance récente dont j’ai parlé, les gens du Kesrouan n’avaient pas bougé ; mais ils n’en avaient pas eu le temps, les Turcs ayant mis le holà avec un empressement peu ordinaire de leur part. C’est que la querelle était survenue au moment de payer le miri. — Payez d’abord, disaient les Turcs, ensuite vous vous battrez tant qu’il vous plaira. — Le moyen, en effet, de toucher des impôts chez des gens qui se ruinent et s’égorgent au moment même de la récolte ?

Au bout de la ligne des maisons chrétiennes, je m’arrêtai sous un bouquet d’arbres, d’où l’on voyait la mer, qui brisait au loin ses flots argentés sur le sable. L’œil domine de là les croupes étagées des monts que nous avions franchis, le cours des petites rivières qui sillonnent les vallées, et le ruban jaunâtre que trace le long de la mer cette belle route d’Antonin, où l’on voit sur les rochers des inscriptions romaines et des bas-reliefs persans. — Je m’étais assis à l’ombre, lorsqu’on vint m’inviter à prendre du café chez un moudhir ou commandant turc, qui, je suppose, exerçait une autorité momentanée par suite de l’occupation du village par les Albanais.

Je fus conduit dans une maison nouvellement décorée, en l’honneur sans doute de ce fonctionnaire, avec une belle natte des Indes couvrant le sol, un divan de tapisserie et des rideaux de soie. J’eus l’irrévérence d’entrer sans ôter ma chaussure, malgré les observations des valets turcs, que je ne comprenais pas. Le moudhir leur fit signe de se taire, et m’indiqua une place sur le divan sans se lever lui-même. Il fit apporter du café et des pipes, et m’adressa quelques mots de politesse en s’interrompant de temps en temps pour appliquer son cachet sur des carrés de papier que lui passait son secrétaire, assis, près de lui, sur un tabouret.

Ce moudhir était jeune et d’une mine assez fière. Il commença par me questionner, en mauvais italien, avec toutes les banalités d’usage, — sur la vapeur, sur Napoléon et sur la découverte prochaine d’un moyen pour traverser les airs. Après l’avoir satisfait là-dessus, je crus pouvoir lui demander quelques détails sur les populations qui nous entouraient. Il paraissait très-réservé à cet égard ; toutefois il m’apprit que la querelle était venue, là comme sur plusieurs autres points, de ce que les Druses ne voulaient point verser le tribut dans les mains des cheiks maronites, responsables envers le pacha. La même position existe d’une manière inverse dans les villages mixtes du pays des Druses. Je demandai au moudhir s’il y avait quelque difficulté à visiter l’autre partie du village. « Allez où vous voudrez, dit-il ; tous ces gens-là sont fort paisibles depuis que nous sommes chez eux. Autrement, il aurait fallu vous battre pour les uns ou pour les autres, pour la croix blanche ou pour