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des flots, allume çà et là ces pittoresques broderies qui brillent encore sur les plus pauvres haillons ; il découpe, à droite du quai, l’ombre immense du château maritime qui protège le port, amas de tours groupées sur des rocs dont le bombardement anglais de 1840 a troué et déchiqueté les murailles. Ce n’est plus qu’un débris qui se soutient par sa masse et qui atteste l’iniquité d’un ravage inutile. À gauche, une jetée s’avance dans la mer, soutenant les bâtimens blancs de la douane ; comme le quai même, elle est formée presque entièrement des débris de colonnes de l’ancienne Béryte ou de la cité romaine de Julia Félix.

Beyrouth retrouvera-t-elle les splendeurs qui trois fois l’ont faite reine du Liban ? — Aujourd’hui, c’est sa situation au pied de monts verdoyans, au milieu de jardins et de plaines fertiles, au fond d’un golfe gracieux que l’Europe emplit continuellement de ses vaisseaux, c’est le commerce de Damas et le rendez-vous central des populations industrieuses de la montagne, qui font encore la puissance et l’avenir de Beyrouth. Je ne connais rien de plus animé, de plus vivant que ce port, ni qui réalise mieux l’ancienne idée que se fait l’Europe de ces Échelles du Levant, où se passaient des romans ou des comédies. Ne rêve-t-on pas des aventures et des mystères à la vue de ces hautes maisons, de ces fenêtres grillées où l’on voit s’allumer souvent l’œil curieux des jeunes filles ? Qui oserait pénétrer dans ces forteresses du pouvoir marital et paternel, ou plutôt qui n’aurait la tentation de l’oser ? Mais, hélas ! les aventures, ici, sont plus rares qu’au Caire ; la population est sérieuse autant qu’affairée ; la tenue des femmes annonce le travail et l’aisance. Quelque chose de biblique et d’austère résulte de l’impression.générale du tableau : cette mer encaissée dans les hauts promontoires, ces grandes lignes de paysage qui se développent sur les divers plans des montagnes, ces tours à créneaux, ces constructions ogivales, portent l’esprit à la méditation, à la rêverie. — Pour voir s’agrandir encore ce beau spectacle, j’avais quitté le café et je me dirigeais vers la promenade du Raz-Beyrouth, située à gauche de la ville. Les feux rougeâtres du couchant teignaient de reflets charmans la chaîne de montagnes qui descend vers Sidon ; tout le bord de la mer forme à droite des découpures de rochers, et çà et là des bassins naturels qu’a remplis le flot dans les jours d’orage ; des femmes et des jeunes filles y plongeaient leurs pieds en faisant baigner de petits enfans. Il y a beaucoup de ces bassins qui semblent des restes de bains antiques dont le fond est pavé de marbre. À gauche, près d’une petite mosquée qui domine un cimetière turc, on voit quelques énormes colonnes de granit rouge couchées à terre ; est-ce là, comme on le dit, que fui le cirque d’Hérode Agrippa ?