Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suppositions avec le laisser-aller prudent et rusé des Levantins ; — il avait besoin de l’Europe pour lutter contre le sultan. Il passa à Florence pour chrétien, il le devint peut-être, comme nous avons vu faire de notre temps à l’émir Béchir, dont la famille a succédé à celle de Fakardin dans la souveraineté du Liban ; — mais c’était un Druse toujours, c’est-à-dire le représentant d’une religion singulière, qui, formée des débris de toutes les croyances antérieures, permet à ses fidèles d’accepter momentanément toutes les formes possibles de culte comme faisaient jadis les initiés égyptiens. Au fond, la religion druse n’est qu’une sorte de franc-maçonnerie, pour parler selon les idées modernes.

Fakardin représenta quelque temps l’idéal que nous nous formons d’Hiram, l’antique roi du Liban, l’ami de Salomon, le héros des associations mystiques. Maître de toutes les côtes de l’ancienne Phénicie et de la Palestine, il tenta de constituer la Syrie entière en un royaume indépendant ; l’appui qu’il attendait des rois de l’Europe lui manqua pour réaliser ce dessein. — Maintenant son souvenir est resté pour le Liban un idéal de gloire et de puissance ; les débris de ses constructions, ruinées par la guerre plus que par le temps, rivalisent avec les antiques travaux des Romains. L’art italien, qu’il avait appelé à la décoration de ses palais et de ses villes, a semé çà et là des ornemens, des statues et des colonnades, que les Turcs, rentrés en vainqueurs, se sont hâtés de détruire, étonnés d’avoir vu renaître tout à coup ces arts païens dont leurs conquêtes avaient fait litière depuis long-temps.

C’est donc à la place même où ces frêles merveilles ont existé trop peu d’années, où le souffle de la renaissance avait de loin ressemé quelques germes de l’antiquité grecque et romaine, que s’élève le kiosque de charpente qu’a fait construire le pacha. — Le cortége des Maronites s’était rangé sous les fenêtres en attendant le bon plaisir de ce gouverneur. Du reste, on ne tarda pas à les introduire. Lorsqu’on ouvrit le vestibule, j’aperçus, parmi les secrétaires et officiers qui stationnaient dans la salle, l’Arménien qui avait été mon compagnon de traversée sur la Santa-Barbara [1]. Il était vêtu de neuf, portait à sa ceinture une longue écritoire d’argent, et tenait à la main des parchemins et des brochures. Il ne faut pas s’étonner, dans le pays des contes arabes, de retrouver un pauvre diable qu’on a perdu de vue - en bonne position à la cour. Mon Arménien me reconnut tout d’abord et parut charmé de me voir. Il portait le costume de la réforme en qualité d’employé turc et s’exprimait déjà avec une certaine dignité.

— Je suis heureux, lui dis-je, de vous voir dans une situation convenable ; vous me faites l’effet d’un homme en place, et je regrette de n’avoir rien à solliciter ici.

  1. Voyez la livraison du 15 février dernier.