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Quelques-uns n’avaient reçu qu’un fusil, un cachemire, ou des parures pour leurs femmes. Je demandai au révérend si la société évangélique lui donnait une prime par chaque conversion. Il ne fit aucune difficulté de me l’avouer ; il lui semblait naturel, ainsi qu’à moi du reste, que des voyages coûteux et pleins de dangers fussent largement rétribués. Je compris encore, dans les détails qu’il ajouta, quelle supériorité la richesse des agens anglais leur donne en Orient sur ceux des autres nations.

Nous avions pris place sur un divan dans le cabinet de conversation, et le domestique bronzé du révérend s’était agenouillé devant lui pour allumer son narguilé. Je demandai si ce jeune homme n’était pas un Indien ; mais c’était un Parsis des environs de Bagdad, une des plus éclatantes conversions du révérend, qu’il ramenait en Angleterre comme échantillon de ses travaux. -En attendant, le Parsis lui servait de domestique autant que de disciple ; il brossait sans doute ses habits avec ferveur et vernissait ses bottes avec componction. Je le plaignais un peu en moi-même d’avoir abandonné le culte d’Oromaze pour le modeste emploi de jockey évangélique. J’espérais être présenté aux dames, qui s’étaient retirées dans l’appartement ; mais le révérend garda sur ce point seul toute la réserve anglaise. Pendant que nous causions encore, un bruit de musique militaire retentit fortement à nos oreilles. — Il y a, me dit l’Anglais, une réception chez le pacha. C’est une députation des cheiks maronites qui viennent lui faire leurs doléances. Ce sont des gens qui se plaignent toujours ; mais le pacha a l’oreille dure.

— On peut bien reconnaître cela à sa musique, dis-je ; je n’ai jamais entendu un pareil vacarme.

— C’est cependant votre chant national qu’on exécute ; c’est la Marseillaise.

— Je ne m’en serais guère douté.

— Je le sais, moi, parce que j’entends cela tous les matins et tous les soirs, et que l’on m’a appris qu’ils croyaient exécuter cet air.

Avec plus d’attention je parvins en effet à distinguer quelques notes, perdues dans une foule d’agrémens particuliers à la musique turque.

La ville paraissait décidément s’être réveillée, la brise maritime de trois heures agitait doucement les toiles tendues sur la terrasse de l’hôtel. Je saluai le révérend en le remerciant des façons polies qu’il avait montrées à mon égard, et qui ne sont rares chez les Anglais qu’à cause du préjugé social qui les met en garde contre tout inconnu. Il me semble qu’il y a là sinon une preuve d’égoïsme, au moins un manque de générosité.

Je fus étonné de n’avoir à payer en sortant de l’hôtel que dix piastres (2 francs 50 centimes) pour la table d’hôte. Le signor Battista me prît à part et me fit un reproche amical de n’être pas venu demeurer dans