Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces légendes, que les anciens acceptaient aveuglément, contiennent-elles quelques élémens historiques ou philosophiques, et peut-on dégager ces élémens des ornemens étrangers qui les enveloppent ? Sur la première question, il ne peut y avoir, je pense, diversité d’opinions qu’au sujet de la proportion plus ou moins grande de vérité mêlée à la fable. La rivalité de Thèbes et d’Orchomène, par exemple, et la guerre dans laquelle cette dernière ville perdit sa prépondérance politique en Béotie, ne sauraient être révoquées en doute, bien que le Gargantua grec, Hercule, y joue un rôle, et que l’événement soit raconté entre l’aventure des cinquante filles de Thestius et celle du lion de Némée.

Quant à la possibilité d’interpréter les mythes et surtout de mettre en lumière le fonds historique qu’ils renferment, pour en juger, il faut chercher d’abord à se rendre compte de la manière dont la mythologie s’est formée, c’est-à-dire étudier les élémens divers qui la constituent.

Partout les premiers enseignemens donnés aux hommes ont pris la forme de récits poétiques. C’est, à ce qu’il paraît, celle que l’esprit humain saisit le plus facilement. La forme didactique n’appartient qu’à une civilisation déjà avancée et à des langues assez perfectionnées pour pouvoir exprimer des idées générales ou même des idées abstraites. Ainsi, pour des barbares grossiers, l’idée que nous attachons au mot peuple, en tant qu’une réunion d’hommes ayant un même langage, des mœurs et des institutions communes, est une idée pour laquelle ils n’ont souvent point de mots. Au lieu de tel peuple, ils diront telle famille ; plus souvent encore ils diront tel homme, tel héros, d’autant plus grand que le peuple sera plus nombreux. « Les légendes grecques, suivant la remarque de M. Grote, ne nous présentent que de grandes figures individuelles ; les races, les nations disparaissent derrière le prince ; les héros éponymes surtout sont non-seulement les souverains, mais les pères, les représentans de la horde à laquelle ils donnent leur nom. » De là vient que l’histoire du peuple se résume souvent tout entière dans la vie de son héros éponyme.

La difficulté d’exprimer des idées abstraites n’est pas moins grande, et les premiers hommes ont remédié à la pauvreté de leur langue par l’emploi de figures et d’allégories. Les Arcadiens avaient conservé le souvenir de l’invasion de leur pays par la mer et de la stérilité, qui ne cessa que grace aux alluvions de leurs rivières. Voici comment leurs géologues racontaient la chose : « Cérès, ayant été violée par Neptune, « demeura long-temps irritée. Sa colère cessa quand elle se fut baignée « dans le fleuve Ladon. » Observons que les mythes ne contiennent guère que des idées très vulgaires et, pour ainsi dire, enfantines. La forme qu’ils emploient est enfantine aussi.

Cette forme étant la même pour toutes les notions qu’il s’agit de conserver, il s’ensuit qu’au même récit se rattachent des idées ou des événemens