Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme M. Grote, entreprenne d’écrire l’histoire de la Grèce. C’est un bonheur qu’une vaste érudition (et personne ne contestera celle de M. Grote) se rencontre au service d’un homme d’affaires, long-temps spectateur, acteur même dans le grand drame de nos révolutions modernes. En effet, ce qui a toujours manqué aux érudits pour écrire l’histoire, c’est de connaître les affaires et les hommes. Ce n’est point dans le cabinet qu’on acquiert cette science, non moins indispensable pour juger le passé que pour se conduire dans le présent. L’ouvrage que nous allons analyser porte donc avec le nom de son auteur une recommandation particulière et toute nouvelle. Au reste, les deux premiers volumes, les seuls qu’ait encore publiés M. Grole, sont précisément ceux pour lesquels il a eu le moins besoin de son éducation politique. Ils ne forment, à proprement parler, qu’une introduction contenant l’exposé critique des légendes, plus ou moins incertaines, relatives aux premiers âges de la Grèce. Bien qu’un tel travail soit plutôt du ressort de l’érudit que de l’historien, il suffit cependant pour apprécier la méthode de l’auteur et le but qu’il s’est proposé.

Sur les événemens antérieurs aux premières olympiades, nous ne savons que ce que les poètes et les mythographes nous ont transmis. C’est une suite de récits étranges, qui, pour le merveilleux, ne le cèdent en rien à nos contes de fées. Des dieux s’humanisant avec les jolies mortelles, tantôt battant, tantôt battus, mourant quelquefois ; des métamorphoses d’hommes en animaux, voire d’hommes en dieux, voilà le fonds ordinaire des mythes antiques. Au premier abord, on est tenté de laisser ces prodiges aux poètes et aux lecteurs des Mille et une Nuits ; mais, si l’on ne tient pas compte de ces fables, l’histoire de la Grèce n’aura plus de commencement. En effet, la mythologie et l’histoire grecque s’enchaînent si étroitement que la seconde est incompréhensible à qui ne connaît pas la première. De même qu’il existe une transition insensible entre les trois règnes de la nature, les dieux, les héros et les hommes se suivent et se confondent dans les premiers âges. Chez les anciens, la guerre de Troie, et même le combat des géans contre les dieux, trouvaient autant de créance que le dévouement de Léonidas ou la bataille de Salamine. Dans la Grèce civilisée, dans la Grèce administrée par de sceptiques préteurs romains, à l’occasion de débats politiques entre deux peuples, on argumentait sur un ancien mythe comme on discute aujourd’hui les articles du traité d’Utrecht, et il n’y avait pas de ville si petite qui n’eût quelque famille en possession de privilèges honorables, qu’elle devait à une arrière-grand’mère séduite ou violée par un dieu. Hécatée disait et croyait qu’il était le descendant de Jupiter au dix-septième degré. A Rome, où l’on ne se piquait pas de poésie, César, esprit fort positif, discourant au forum, parlait de Vénus, son aïeule, aussi gravement que de son oncle Marius.