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position militaire : elle n’est qu’une magnifique nappe d’eau où mollissent les tempêtes du large, et dont l’heureuse configuration offre de tous côtés contre le mauvais temps des refuges protégés par des batteries de côte. C’en est assez pour servir de rendez-vous aux escadres d’évolution de la Méditerranée, de champ d’exercice à nos équipages, de point de départ et de ralliement à nos grandes expéditions, en un mot, de complément à l’établissement de Toulon.

Ces avantages sont grands, mais les imperfections et les dangers dont ils sont accompagnés ont plus d’une fois fait regretter à nos aïeux jusqu’à l’existence de la rade. En effet, l’excessive facilité d’entrée et de sortie, l’étendue de mouillage qu’y trouvent les vaisseaux hors de portée de terre, sans doute aussi le malheur et les désordres des temps l’ont laissée, pendant plusieurs siècles, à la disposition des Barbaresques et d’autres associations de brigands. Plus tard, quand la manière de faire la guerre s’est régularisée, les avantages de cette position ont invariablement profité aux forces navales les plus considérables, et, toutes les fois que cette supériorité a été du côté de l’ennemi, la rade est devenue la base des opérations dirigées contre Toulon. C’est ainsi qu’en 1524 et en 1536 les armées de Charles-Quint s’y sont ralliées, qu’en 1707 la flotte anglo-hollandaise y a débarqué tout l’équipage de siège des Impériaux, qu’en 1793 et 1794 les Anglais l’ont occupée avant, pendant et après leur séjour à Toulon.

Henri IV, affermi sur le trône, voulut mettre l’avenir à l’abri des dangers qui avaient assailli le passé. En 1594, les souvenirs de la seconde expédition de Charles-Quint n’étaient que de quatre ans plus éloignés que ne le sont aujourd’hui de nous ceux du siège dirigé par Bonaparte. Des leçons si récentes ne pouvaient pas être perdues, et, en faisant de Toulon un objet de terreur et d’envie pour nos ennemis, Henri devait chercher à rétrécir le plus possible les moyens d’attaque qu’ils avaient trouvés dans le voisinage. Tel fut indubitablement son but, lorsqu’en 1608 il résolut, par des considérations importantes à l’état, dit le président de Séguiran[1], de transférer les habitans d’Hyères dans une nouvelle ville qu’il eût fondée à la pointe orientale de la presqu’île de Giens. Elle aurait en effet commandé les trois mouillages de Giens, de la Badine et du Pradeau ; les feux de ses remparts se seraient croisés au milieu de la passe de l’ouest[2], la plus importante et la plus fréquentée de toutes, avec ceux des batteries de l’île de Porquerolles ; enfin la garnison, inexpugnable sur son rocher, aurait pu se porter rapidement sur tous les points de débarquement de la rade, couper les convois d’un ennemi parvenu jusqu’aux murs de Toulon, et l’abîmer dans sa retraite.

  1. Procès-verbal des affaires maritimes de Provence en 1633. (B. R., mes. 1037.)
  2. La largeur de la passe est de 2,300 mètres entre l’île et la presqu’île ; mais le passage des navires est réduit à 1,500 mètres par les îlots du Grand-Ribaud et de Langoustier.