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leurs brigandages : aux Martigues, malgré les efforts de la communauté pour la défense de la côte, quatre-vingts habitans, pris par eux depuis quatre mois, sont esclaves à Alger ou à Tunis ; à Marseille, le commerce expose les voleries, les ruines et les misères qu’il souffre de leur part ; à Cassis, ils ont détruit la navigation en prenant, depuis vingt ans, quarante barques et trois vaisseaux ; à la Ciotat, ils ont, dans l’année, enlevé vingt-deux barques et mis à la chaîne cent cinquante des meilleurs mariniers ; aux salins d’Hyères, ils attaquent les bâtimens qui chargent du sel, et les gardes de la gabelle ne leur échappent qu’en leur abandonnant leurs maisons ; à Bormes, ils capturent des barques jusque sur la grève, et les habitans sont continuellement en armes pour les empêcher de prendre terre ; à Saint-Tropez, ils ont entièrement ruiné le commerce ; à Antibes, ils ont tout enlevé en 1621, et il reste à peine une douzaine de barques de 20 à 50 tonneaux. Partout on courbe la tête sous ces brigands comme sous une irrésistible fatalité ; partout leur apparition fait sur le matelot interdit l’effet de celle de l’oiseau de proie sur les oiseaux des vergers. Ce n’est qu’à Toulon qu’un brave marin d’Ollioule, nommé Jacques Vacon, trois fois pris par les Barbaresques et trois fois échappé de leurs fers, vient, le cœur ulcéré de ce qu’il a vu et souffert dans les bagnes d’Afrique, proposer un très bon plan de destruction de la piraterie : on applaudit à ce plan, on le recommande au cardinal[1] ; mais il était dans les décrets de la Providence que la vengeance de tant d’outrages se fît attendre deux cents ans.

Peu d’années avant la conquête d’Alger, cet état de désolation était celui d’une partie des côtes d’Espagne et d’Italie, et, la veille du jour où nous l’écrasions dans son repaire, la piraterie barbaresque comprimait encore l’expansion maritime des petits états des bords de la Méditerranée. Ils ont bien plus gagné à sa destruction que nous-mêmes, dont elle avait appris à respecter le pavillon ; mais les sacrifices que nous impose notre victoire ne sont pas tous perdus pour nous : ce merveilleux essor des marines secondaires de la Méditerranée réagit sur l’activité de nos ports ; nous partageons les fruits de la sécurité qu’elles nous doivent, et les bases du commerce de cette mer ne s’élargissent pas sans que le nôtre s’élève. N’y a-t-il pas d’ailleurs une gloire éternelle pour la France dans le souvenir de la honte et des maux dont ses armes ont, en 1830, délivré la chrétienté ?

En disant adieu à cette rade dont le calme s’allie si bien à la double majesté de la mer et des montagnes, n’espérons pas trouver ailleurs de plus grand ni de plus noble spectacle. Ces vaisseaux à l’ancre sous le

  1. Voir le Procès-verbal contenant l’état véritable auquel sont de présent les affaires de la côte maritime de Provence, par H. de Séguiran. (B.-R., mss. de Sorbonne, n° 103.)