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inconnus aux générations passées, et quand la guerre ne saurait plus avoir pour enjeux que des nationalités, il n’est pas permis de laisser à la mauvaise fortune une seule des chances que peut lui ravir la prudence.

Les roches décharnées de Faron se dressent derrière la ville à 600 mètres de hauteur, et leurs escarpemens blanchâtres lui renvoient les rayons du soleil de midi ; sur le reste de son étendue, la rade est encadrée dans un rideau de montagnes et de collines couvertes de vignes et de bois ; le pic de Six-Fours, si connu des matelots, domine à l’ouest cet ensemble et se fait reconnaître au loin à la tour qui le couronne. Silencieux comme les ruines de ces aires d’aigles que la féodalité bâtissait sur les cimes qui bordent le Rhône, ces murs n’entendent plus guère que le sifflement du mistral ou le bruit expirant du canon tiré dans la rade.

On a peine à comprendre aujourd’hui comment, le 27 janvier 1633, les affaires de la marine appelaient dans un pareil lieu le président de Séguiran, cet envoyé du cardinal de Richelieu dont nous avons déjà rencontré la trace aux Martigues. Le magnifique panorama qui embrasse la côte de la baie de Saint-Nazaire à l’île de Maire, de la rade de Toulon à l’île du Levant, n’était pas ce qui l’attirait ; ses mesures étaient prises pour le lever de la carte de cet atterrage, et il n’avait nul besoin d’en graver l’aspect et les contours dans sa mémoire. Reçu à la porte de Six-Fours par les consuls et les plus apparens du lieu, M. de Séguiran venait y faire enregistrer ses pouvoirs et les ordres du grand-maître de la navigation. L’ancienne vie, si complètement éteinte, de Six-Fours est le résumé de toute une période de l’histoire de la Méditerranée. En 1633, Six-Fours, entouré d’une forte muraille, recueillait et protégeait contre les incursions des pirates les habitans de la presqu’île comprise entre la baie de Saint-Nazaire et la rade de Toulon. La communauté, exempte de tailles en raison de ce service, entretenait à Notre-Dame-de-la-Garde, sur l’escarpement le plus haut et le plus avancé du cap Sicié, des vigies de jour et de nuit, et dès que des bâtimens suspects paraissaient en mer, elles en signalaient le nombre par autant de feux allumés. De semblables signaux répétés de cap en cap, depuis Antibes jusqu’au port de Bouc, avertissaient toute la côte. Elle était, en ce temps, sur un pied de guerre perpétuel : ainsi M. de Séguiran recevait à Bandol l’hospitalité dans une maison particulière armée de deux canons, de deux pierriers, de deux cents boulets, de cinq quintaux de poudre et d’un assortiment convenable d’arquebuses, de piques et de mousquets. Ce n’étaient point là des précautions superflues : les corsaires barbaresques enlevaient les barques dans les eaux du rivage, pillaient les maisons isolées, traînaient en esclavage hommes et femmes. Le commissaire du cardinal trouve à chacun de ses pas des traces de