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largeur de l’isthme qui les sépare est de 5,300 mètres ; le jeune commandant de l’artillerie du siège de Toulon dut la mesurer plusieurs fois de l’œil, dans ses courses nombreuses, soit d’Ollioule à Brégaillon, soit sur les hauteurs voisines. On prétend qu’au milieu des préparatifs de l’expédition d’Égypte, il revint plusieurs fois à cette pensée et s’irrita des objections qu’on fondait sur l’envasement de la baie de la Seyne.

J’ai cherché des traces de ce projet, sur lequel l’illustration de l’auteur avait dû fixer l’attention ; je n’en ai pas trouvé d’autres que la tradition qui s’est conservée à Toulon, et le sentiment qu’éveille l’aspect des lieux. Si l’œil était un organe moins trompeur quand il s’agit de nivellement, on croirait l’ouverture d’un canal infailliblement praticable au travers du terrain d’alluvion qui rattache à la formation calcaire de la côte le soulèvement de Six-Fours. En fait, ce percement ne serait qu’un jeu auprès de celui du canal Calédonien, exécuté par les Anglais en vue de bien moindres avantages[1]. En effet, si la rade de Toulon avait cette sortie à l’ouest, aucun ennemi ne pourrait la bloquer, sans diviser ses forces et sans s’exposer à être détruit en détail ; il deviendrait impossible d’intercepter les communications avec Marseille. En temps de paix, les bâtimens à vapeur qui vont et viennent entre Marseille, Gênes et Livourne, ne seraient plus repoussés au large par le cap Sicié ; leur route directe les amènerait devant Toulon, et la ville cesserait d’être exclue d’une circulation à laquelle elle est en état d’apporter un si large contingent.

Si grands que fussent ces avantages, l’entreprise est tout au plus de celles qui, long-temps reléguées au rang des utopies, finissent par être atteintes, sur la grève où elles sont gisantes, par le flot croissant de la richesse publique. Pourquoi n’aurait-elle pas son tour comme une autre ? Combien n’exécutons-nous pas, dans ce moment et à Toulon même, de travaux naguère réputés impossibles, et qui pourrait assigner des limites aux œuvres qu’accomplirait une nouvelle paix de trente ans ? Qu’on ne dise pas que si la prolongation de la paix est ici la condition de l’exécution, elle serait aussi la négation de l’utilité. La paix se fortifie, il est vrai, par sa durée ; mais elle accumule des moyens de destruction

  1. Le canal Calédonien, qui traverse l'Écosse d'Inverness au fort William, a 97,740 mètres de longueur, dont 62,240 appartiennent à quatre lacs, et 35,500 à des biefs ouverts de main d'hommes. Du point de vue de partage à la mer, la pente est, du côté de l'est, de 28 mètres 56 centim., du côté de l'ouest, de 27 mètres 36 cent. Ces 55 mètres 92 centim. sont rachetés par 28 écluses. La hauteur d'eau est de 6 mètres 10 centim., la largeur au plafond de 15 mètres 24 centim., et la largeur des écluses de 12 mètres 19 centim. La dépense a été de 21,987,775 fr. par mètre courant. Avec ces dimensions, le canal n'admet que des frégates de 44 canons. Pour donner passage à des vaisseaux de premier rang et à des frégates à vapeur, celui de Toulon devrait avoir 9 mètres de profondeur et 30 mètres de largeur au plafond ; mais il ne comporterait que des déblais sans ouvrages d'art.