Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

départ, sans courir plus de danger qu’en s’en éloignant. Cet acte si simple, qui s’accomplit tous les jours sous nos yeux, renferme à lui seul toute une révolution dans l’art de la guerre ; il substitue à l’ancien isolement des forces de terre et de mer la connexion la plus redoutable. Qu’on suppose, en effet, vingt bateaux à vapeur à Toulon, tandis que la flotte de Nelson occupe la Méditerranée. Aboukir n’est plus qu’une plage hospitalière ; Malte est ravitaillée ; des communications régulières rattachent l’Égypte à la France. Plus tard, Masséna est secouru dans Gênes, et tous les plans de l’immortelle campagne de Marengo sont changés. N’arrivant jamais à temps sur les lieux où se frappent les coups décisifs, la flotte à voile n’est plus, dans les opérations qu’elle maîtrisait jadis, qu’un élément dont on se dispense de tenir compte, et Nelson n’est dans la Méditerranée que pour être tardivement informé des événemens qui se sont accomplis sans lui.

Il est donc probable que, dans la première guerre dont cette mer sera le théâtre, la victoire dépendra d’une combinaison intime établie entre la force de l’armée de terre et la force navale ; des troupes de débarquement, rapidement portées par la marine à vapeur sur les points stratégiques des côtes de France, d’Afrique, d’Espagne, d’Italie, y trancheront les questions d’une campagne. Quels seront les procédés de cette organisation nouvelle des armées ? Quels changemens introduira-t-elle dans la tactique ? C’est là le secret de l’homme de génie qui maniera le premier cet instrument ; mais, quant aux élémens mêmes de la combinaison, ils sont sous les yeux de tout le monde, ils sont entre les mains de tous ceux qui sont appelés à les employer.

Les bâtimens à voile semblent d’ailleurs atteindre, par les progrès mêmes de leur armement, leur période de décroissance. Des calfats répartis le long de l’œuvre vive d’un vaisseau qui se battait suffisaient naguère à tamponner les voies d’eau percées par les boulets de l’ennemi. Maintenant un seul projectile creux, éclatant sur la ligne de flottaison, ouvre aux eaux un sabord de plusieurs mètres carrés, et le vaisseau coule presque instantanément. Avec des armes si meurtrières, un combat entre vaisseaux ou frégates ne durera pas plus d’un quart d’heure, et les pertes ne se compteront plus par hommes, mais par équipages entiers. Quand des moyens de destruction arrivent à ce point d’aveugle infaillibilité sans conserver la puissance de décider du sort de la guerre, l’avenir ne leur appartient plus. Compromise entre les perfectionnemens de son artillerie et la concurrence d’une marine affranchie des caprices des vents, la marine à voile ne cessera pas de régner sur les mers lointaines, où l’autre aurait peine à la suivre ; mais dans les mers d’Europe, et particulièrement dans la Méditerranée, son importance ne peut manquer d’être fort réduite.

La France n’à point à s’inquiéter de cette tendance. L’infériorité de