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Les affaires allèrent en effet. On commença par s’assurer contre les sorties que pourrait faire la garnison de la place du côté du fort Malbousquet ; puis, la batterie qu’établit Bonaparte au fond de la baie de la Seyne, sur la hauteur de Brégaillon, força les canonnières, les bâtimens légers et les batteries flottantes du commandant Féraud, qui gênaient tous les mouvemens des républicains, d’évacuer la petite rade. Ce point acquis, d’autres batteries furent placées sur les mamelons d’Evesca et de Lambert, voisins de celui de Caire, tant pour contrebattre les feux du Petit-Gibraltar que pour nettoyer ce côté et rejeter les Anglais sur la pente opposée, où les attirait d’ailleurs la protection de leurs vaisseaux. Le moment était venu d’enlever de vive force le Petit-Gibraltar. Le 16 décembre au soir, les troupes se réunirent à la Seyne ; le 17, à une heure du matin, le signal est donné : elles gravissent, par une pluie battante, la pente escarpée au sommet de laquelle la redoute anglaise est armée de 36 pièces de canon ; leur marche est ralentie, mais non pas arrêtée par les difficultés sans nombre répandues sur leurs pas, et par une grêle de balles et de mitraille ; les chevaux de frise sont renversés, les abatis franchis, les canonniers tués sur leurs pièces par les embrasures : le parapet est franchi ; mais en arrière de cette première enceinte s’en trouve une seconde, nos soldats sont deux fois repoussés. Enfin, une troisième attaque, plus furieuse que les deux premières, leur succède ; le capitaine Muiron tourne la redoute et l’escalade du côté de la mer, que ses défenseurs croyaient gardée par leurs troupes : le soleil levant éclaire le drapeau tricolore flottant sur les fortifications anglaises, et voit l’ennemi groupé sur les pentes qui descendent du Petit-Gibraltar aux forts de l’Eguillette et de Balaguier. Les Anglais font dans la journée un effort désespéré pour reprendre leur position ; mais ils sont repoussés avec perte, et le général Victor les chasse à la nuit des deux forts inférieurs, qui, maintenant commandés, ne pouvaient plus rester entre leurs mains. Les vaisseaux des Anglais mouillés dans la rade sont désormais sous le canon des républicains : être coulés ou lever l’ancre, voilà la seule alternative qui leur reste[1].

Le 18, au jour, quelles ne furent pas la surprise et la joie de l’armée en voyant la redoute de Saint-André, les forts des Pomets, de Saint-Antoine ; de Malbousquet, le camp de Saint-Elfe évacués ! La petite rade était couverte d’embarcations qui se croisaient en tous sens, portant précipitamment Anglais, Espagnols, Italiens, et des Français,

  1. Ce récit étant conforme à l’état réel des lieux et aux rapports officiels dont la reprise de Toulon a été le sujet, il diffère en quelques points de celui qu’en a fait M. Thiers. Je ne pouvais pas avoir sur le célèbre auteur de l’Histoire de la Révolution française d’autre avantage que celui de l’exactitude, et j’aurais certainement emprunté ses paroles, si sa topographie des environs de Toulon avait été moins embarrassante pour une classe nombreuse, celle des lecteurs qui connaissent le pays.