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Si quelque chose pouvait aplanir les difficultés contre lesquelles luttent nos principaux théâtres, ce serait assurément la bonne volonté du public à la fois si respectueux pour les gloires anciennes et si impatient d’applaudir des talens nouveaux. Notre société suit aujourd’hui tous les incidens de la vie littéraire avec une curiosité de bon augure. On aime à voir l’intérêt général qu’éveille une élection à l’Académie française ; on aime aussi à constater un choix qu’ont approuvé tous les amis de la vraie littérature. En nommant M. Ampère, l’Académie a rendu un juste hommage à un talent distingué auquel une érudition bénédictine ajoute plus de gravité en lui laissant tout son éclat. Par ses recherches littéraires, par ses leçons, par ses travaux sur les langues, par ses voyages scientifiques, M. Ampère avait depuis long-temps marqué sa place au premier rang. L’Académie a donc répondu cette fois au vœu général, et prouvé à ses détracteurs que les titres sérieux pouvaient être de quelque poids dans ses décisions et ses suffrages. Ces décisions, nous l’avons dit, semblent de plus en plus préoccuper l’opinion. On se demande quelles règles dirigeront l’Académie dans ses choix futurs ; on se demande surtout si elle n’appellera pas dans son sein les jeunes renommées que lui désignent les sympathies publiques. Bien des noms se présenteraient ici sous notre plume, si nous ne nous souvenions qu’aux yeux de l’Académie, comme aux nôtres, le succès et le talent même ne suffisent pas, séparés de ce respect des bienséances, de cette dignité de la vie privée, qui iraient si bien aux esprits d’élite et qui devraient faire partie de toute supériorité littéraire. Quel dommage que le roman, par exemple, ait compromis par de folles équipées la place d’honneur que lui assuraient les tendances, les prédilections contemporaines ! Livrée à des intérêts matériels qui l’agitent sans la satisfaire, privée de ces distractions charmantes qu’on trouvait autrefois dans des centres choisis, dans des causeries spirituelles ; ramenée par des déceptions positives à de secrètes aspirations vers la vie idéale, la société actuelle s’est décidément éprise de ces ouvrages où l’ingénieuse observation de nos travers, l’analyse du cœur humain dans quelqu’une de ses mille nuances, la description inépuisable des beautés de la nature et des émotions de la vie champêtre, s’entremêlent à ces aventures, à ces fictions attrayantes pour lesquelles nous serons toujours enfans. Le roman, la musique, le paysage, tout ce qui est vague, tout ce qui ouvre aux rêveurs une sorte de terrain neutre où ils mettent ce qu’ils veulent, doit offrir un irrésistible attrait aux ames que fatigue la discussion, qu’attriste la réalité ; et, comme il y a toujours une influence réciproque entre les variations du goût public et les transformations successives de l’art, ce sont ces genres, en faveur aujourd’hui auprès du plus grand nombre, qui produisent les œuvres les plus remarquables.

Parmi les romans récemment publiés, et en commençant par écarter ceux qui ne s’adressent qu’à la curiosité oisive des lecteurs de feuilletons, nous devons distinguer le Gentilhomme campagnard, par M. Charles de Bernard, les Roués innocens et Militona, par M. Théophile Gautier. Ce n’est pas tout-à-fait sans dessein que je rapproche les noms de ces deux écrivains ; il me semble en effet que chacun d’eux a de trop ce qui manque à l’autre. Ainsi, M. de Bernard, homme du monde, désabusé avec esprit, serait dans des conditions excellentes pour écrire le roman, s’il se préoccupait davantage de la forme, s’il donnait à ses inventions cet achèvement, cette précision de détails sans laquelle rien ne peut vivre ni durer. La nonchalance de sa manière, l’incorrection mondaine de son