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justesse M. le garde-des-sceaux, et la chambre a été de son avis quand il a dit que le pays ne serait pas bien représenté s’il y avait dans le parlement quatre cent cinquante-neuf propriétaires ou quatre cent cinquante-neuf avocats.

En parlant de la présence des avocats dans la chambre, nous ne devons pas passer sous silence le brillant début de M. Paillet. Au premier rang dans le barreau de Paris, M. Paillet a voulu, dès son premier discours, conquérir une place parmi les orateurs de la chambre, et il y a réussi. La harangue était travaillée de longue main, bien apprise ; elle a été débitée avec un art d’autant plus grand, qu’il se cachait sous les apparences d’une sorte de bonhomie, bonhomie coquette et un peu prétentieuse. Quoi qu’il en soit, le succès a été complet. La majorité a su gré à l’orateur de la mesure avec laquelle il développait les théories de l’opposition, et la chambre tout entière de la peine qu’il s’était donnée pour rendre quelque nouveauté à un thème retourné en tous sens par des talens divers. Que dire, en effet, au sujet des incompatibilités, après les développemens ingénieux dont M. de Rémusat a accompagné sa proposition, après l’argumentation si substantielle de M. Duchâtel, et la spirituelle comparaison établie par M. Saint-Marc Girardin entre les fonctionnaires français et les fonctionnaires prussiens ? Cependant M. Billault a su réveiller l’attention de la chambre par la vivacité avec laquelle il a résumé tous les argumens, et surtout par les malicieuses provocations qu’il a adressées aux conservateurs progressistes. On eût dit que M. de Castellane les attendait, car il y a répondu sur-le-champ. Sa déclaration n’a point été ambiguë : il a annoncé qu’il voterait avec ses amis la prise en considération de la proposition de M. de Rémusat, non qu’il voulût toute la proposition ; à ses yeux, il faut la réduire et non pas la détruire.

La majorité qui a repoussé la prise en considération n’a été que de 49 voix. Cette différence avec la majorité qui avait rejeté la réforme électorale s’explique par plusieurs raisons. Beaucoup de députés appartenant à la majorité avaient, comme nous l’avons dit, pris des engagemens sur ce point avec leurs électeurs. La plupart de ces députés se sont abstenus au moment du vote ; c’était se déclarer à moitié satisfait des promesses du cabinet pour l’avenir. Quelques conservateurs progressistes n’étaient pas fâchés de faire acte d’indépendance à propos d’une question qui présentait un caractère bien moins tranché que la réforme électorale ; ceux-là ont voté avec l’opposition.

Il est donc constaté une fois de plus qu’au sein de la majorité il y a des esprits indépendans plus préoccupés de leurs propres tendances, de leurs propres opinions, que des intérêts du parti auquel ils appartiennent. Nous concevons que cette allure assez indisciplinée déplaise un peu à la majorité, à ses chefs, à ses soutiens les plus expérimentés, et que ces derniers ne consentent pas facilement à se laisser conduire par les fantaisies, par la pétulance des nouveaux-venus ; toutefois, si naturels que soient ces sentimens, il ne faudrait pas qu’ils fissent tomber la majorité dans deux fautes qui seraient graves, le dédain pour les personnes et l’immobilité systématique dans les choses. Ces membres nouveaux, ces conservateurs progressistes ne sont-ils pas un symptôme, qui veut être compris, des dispositions du pays et de sa véritable pensée ? À peine l’urne électorale avait-elle fait connaître tous ses secrets l’été dernier, que nous indiquions l’arrivée en grand nombre d’hommes nouveaux dans la chambre et dans les rangs du parti conservateur comme le fait culminant de la situation, et le germe de