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assignée M. Texier. M. Landron a fait un bon emploi de deux grandes colonnes qu’il a trouvées couchées sur la scène ; il en a fait la décoration de la porte principale. Cette restauration, ajoutée aux beaux dessins que nous avons admirés l’année dernière, place l’auteur parmi les explorateurs les plus ingénieux de l’antiquité.

Pour la peinture, j’ai quelques omissions à réparer. La Madeleine recueillant les dernières gouttes de sang du Christ, de M. Gambard, rappelle heureusement le style de Lesueur ; il y a dans cette composition une élévation de sentiment, une sévérité de pensée, qui méritent les encouragemens de la critique. Dante à la Verna, de M. Henri Laborde, se recommande par de solides qualités. La figure de Dante a de la grandeur ; peut-être le paysage est-il un peu dur. M. Albert Barre a trouvé dans la Vie nouvelle de l’illustre Florentin le sujet d’une œuvre pleine de naïveté, dont l’exécution est très satisfaisante. Les moutons au pâturage de Mlle Rose Bonheur sont peints avec une grande finesse. Molière chez le barbier, de M. Vetter, est une scène de comédie d’une pantomime excellente. M. Édouard Dubufe s’efforce de justifier la bienveillance avec laquelle ont été accueillis ses débuts. Le portrait de Mme L. R. révèle chez lui le sincère désir de bien faire. Il y a de l’élégance dans l’ajustement de ce portrait ; la bouche n’est pas d’un dessin assez pur, assez sévère. Les bras et les mains ne sont pas modelés avec assez de fermeté. Pourtant les progrès de l’auteur ne sauraient être contestés.

Arrivé au terme de cette revue, nous ne pouvons nous défendre d’un sentiment de tristesse. Dans la sculpture, en effet, comme dans la peinture, que voyons-nous ? L’habileté matérielle devient plus générale de jour en jour. Les ouvriers adroits se multiplient, et le nombre en sera bientôt difficile à compter ; les vrais artistes deviennent de plus en plus rares, et, pour retenir leurs noms, il n’est pas besoin d’une vaste mémoire. La partie intellectuelle des arts du dessin semble à peine comprise de ceux qui les cultivent, et, disons-le avec une égale franchise, de ceux qui regardent et qui jugent. Les données les plus élémentaires, les principes les plus évidens sont méconnus avec obstination ; le réalisme le plus prosaïque envahit le domaine de la peinture et de la statuaire. Le temps est venu de réagir avec énergie contre les doctrines déplorables qui transforment l’art en métier. C’est une mission que la critique la plus sévère, la plus éclairée, ne pourrait accomplir avec ses seules forces. C’est aux artistes éminens qui comprennent encore la grandeur, le caractère divin de la pensée, qu’il appartient de ramener la peinture et la statuaire dans la voie de la vérité.


GUSTAVE PLANCHE.