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méconnaître, il est impossible de ne pas louer le goût sévère qui a presque toujours présidé à la combinaison ingénieuse de ces souvenirs. M. Pradier connaît à merveille tous les musées de l’Italie, et il met son savoir à profit avec une adresse que personne encore n’a surpassée. Par malheur, ses études jusqu’ici n’ont jamais été dirigées du côté de l’art chrétien, et, comme il a l’habitude de se fier à sa mémoire avec une entière sécurité, ne trouvant en lui-même aucun modèle qu’il pût imiter, il a composé un ouvrage sans signification, sans expression définie. Le visage du Christ n’a rien de divin. Le torse et les membres, louables dans plusieurs parties, si l’on ne tient pas compte de la nature du personnage, soulèvent, de graves objections dès qu’on se décide à comparer ce que l’auteur a fait à ce qu’il a dû vouloir faire. Le torse et les membres ne sont pas ceux du Christ mort sur la croix, mais tout au plus ceux d’un homme endormi, affaissé sur lui-même. Quant à la Vierge de M. Pradier, elle est encore plus éloignée que le Christ de l’idée nécessaire que nous devons nous former d’un tel personnage. La tête, modelée d’ailleurs avec une certaine négligence, pourrait tout au plus convenir à Clytemnestre, à Melpomène ; j’y cherche vainement la candeur virginale, la douleur résignée, attribuées par l’Évangile à la mère du Christ. Le visage exprime plutôt la colère, la soif du sang, comme pourrait, comme devrait le faire Clytemnestre poussée par Égisthe vers le lit d’Agamemnon qu’elle va frapper. La Pietà de M. Pradier est donc une méprise complète, et nous espérons que l’auteur de tant de gracieux ouvrages empruntés à la mythologie grecque renoncera dès à présent à l’art chrétien qu’il n’a pas étudié, sans se compromettre dans une nouvelle tentative du même genre.

Entre les deux statues couchées, exécutées par M. Pradier pour la chapelle de Dreux, il en est une qui mérite une attention spéciale ; je veux parler de la statue de Mlle de Montpensier. La statue du duc de Penthièvre est convenablement ajustée, et rappelle assez heureusement le, style des tombeaux placés dans une église de Bruges, tombeaux qui ont été moulés et dont les plâtres sont depuis plusieurs années dans une salle du Louvre. Toutefois, malgré la valeur des modèles que M. Pradier a pu librement consulter sans sortir de Paris, la statue du duc de Penthièvre n’a vraiment rien de remarquable. Quant à la statue de Mlle de Montpensier, c’est à coup sûr, sous le rapport de l’exécution, un des meilleurs ouvrages de l’auteur. L’attitude de l’enfant est pleine de grace, le visage plein de sérénité. La draperie est bien ajustée, et laisse apercevoir la forme sans la suivre trop servilement. On pourra dire avec raison que c’est plutôt un enfant endormi qu’un enfant mort ; mais cette remarque, bien que juste en elle-même, ne saurait diminuer la valeur de la figure que nous examinons. Le visage, en effet, le visage tout entier est un morceau charmant, qui fait le plus grand