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timides, des fidélités chancelantes, des appréhensions trop exagérées pour n’être point simulées, enfin ce froid glacial qu’inspirent aux ambitieux et aux courtisans les pouvoirs déchus ou qui sont près de l’être. Un astre nouveau se levait ; Ferdinand était roi de fait. D’ailleurs, la souveraine puissance n’avait plus d’attrait pour Charles IV et la reine, maintenant qu’ils ne pouvaient plus la partager avec le prince de la Paix. Il paraît même que le vieux roi, fatigué de régner, avait plus d’une fois exprimé, depuis quelque temps, le désir d’abdiquer, et que c’était la reine qui, tantôt par ses larmes, tantôt par ses fureurs, l’en avait empêché. Aujourd’hui la mesure était comblée. Charles IV convoqua un grand conseil composé de tous les princes de sa famille, des principaux personnages de sa cour, de tous les ministres et chefs militaires, et, en leur présence, il renonça solennellement à la couronne en faveur de son fils Ferdinand. L’acte d’abdication fut rédigé dans les termes les plus positifs et avec la plus grande clarté[1].

La ville de Madrid était encore émue des scènes violentes qui l’avaient troublée la veille, quand, le 20 au matin, elle apprit que Charles IV avait abdiqué en faveur de son fils. À cette nouvelle, elle fut saisie d’une ivresse de joie impossible à décrire. En un moment, toute la population fut sur pied et encombra les rues. On se communiquait la grande nouvelle ; on s’embrassait, on se précipitait en foule dans les églises pour rendre à Dieu des actions de graces. A voir de tels transports, on eût dit un peuple d’esclaves qui venait de briser ses chaînes et qui avait recouvré à la fois le bonheur et la liberté.


ARMAND LEFEBVRE.

  1. « Les infirmités qui m’accablent, disait le roi, ne me permettent pas de soutenir plus long-temps le poids trop lourd du gouvernement de nos états, et, l’intérêt de ma santé exigeant que j’aille jouir dans un climat plus doux du calme de la vie privée, j’ai résolu, après les plus sérieuses réflexions, d’abdiquer la couronne en faveur de mon héritier et bien-aimé fils le prince des Asturies. En conséquence, ma royale volonté est qu’on le reconnaisse et qu’on lui obéisse comme roi et maître naturel de tous mes états et domaines, et, afin que la présente déclaration royale de mon abdication libre et spontanée ressorte à cet effet et reçoive son exécution royale, vous la communiquerez au conseil et à tous ceux qu’il appartiendra.
    « Fait à Aranjuez, 19 mars 1808.
    « LE ROI. »