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grouper autour du vieux roi et de la reine, de protéger leur fuite, elles s’y opposent, au contraire ; elles entourent le palais, s’emparent de toutes les issues et deviennent les geôliers de leurs souverains.

Les maisons, les rues, les places publiques étaient encombrées d’hommes du peuple. Toute cette foule reposait et dormait : en un instant, et comme par une sorte d’enchantement, elle se lève d’un même mouvement, et la ville, tout à l’heure silencieuse, retentit maintenant de mille clameurs. De tous côtés l’on s’agite et l’en s’arme : les uns vont se réunir à la troupe qui cerne le palais ; les autres se portent, à la lueur des torches et aux cris de meure Godoy ! sur l’hôtel de ce prince. Des sentinelles en défendent l’entrée ; le peuple les désarme, brise les portes, se précipite dans l’hôtel, inonde les cours, les corridors, les appartemens, monte, descend, remonte et cherche partout l’homme qu’il hait et qu’il veut immoler. Efforts inutiles ! au lieu du favori, les insurgés trouvent la princesse de la Paix et sa fille. A la vue de ces deux femmes éperdues et presque évanouies, ils s’arrêtent avec respect, ils les accompagnent hors de l’hôtel, s’attellent à leurs voitures, leur font une sorte d’ovation nocturne et les conduisent ainsi jusqu’au palais du roi, puis ils reviennent sur l’hôtel pour y chercher leur ennemi. Ne le trouvant point, ils se vengent sur son hôtel : tout ce qui leur tombe sous la main est brisé, saccagé ; mais du moins ils ne déshonorent point leurs violences par le pillage : ils sortent de cette demeure, naguère si somptueuse et dont ils viennent de faire un amas de ruines, les mains pures de toutes rapines.

La terreur était à son comble dans l’intérieur du palais. Le 18, Charles IV destitua de ses fonctions de généralissime le prince de la Paix, et prit en personne le commandement de ses armées. Il avait espéré que ce décret suffirait pour apaiser la fureur du peuple et sauverait la tête du favori ; mais il fut averti qu’un nouveau soulèvement devait éclater dans la nuit du 18 au 19. Alors, plein d’anxiétés, il fit venir tous les chefs militaires et les interrogea sur les dispositions de la troupe. La plupart d’entre eux s’étaient déjà donnés à Ferdinand. Tous répondirent qu’il n’y avait point à compter sur les soldats, et que le prince des Asturies pouvait seul répondre de tout. La cour passa la journée du 18 et la nuit qui suivit dans des transes affreuses. Le 19, au matin, le roi et la reine commençaient à espérer que le danger était passé, quand, à dix heures, un tumulte effroyable s’éleva autour de l’hôtel du prince de la Paix. Ils s’informèrent, et apprirent que le malheureux prince venait d’être découvert et arrêté. Au moment où l’émeute avait brisé les portes de son palais, il était sur le point de se mettre au lit, et il n’eut pas le temps de se rhabiller. N’ayant d’autre vêtement qu’une robe de chambre de molleton, il courut à l’une des portes de derrière de l’hôtel ; toutes les issues étaient gardées. Alors