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silence tous les affronts dont ce souverain l’abreuvait : il se voyait circonvenu, enserré dans une étreinte de fer. A peine osait-il hasarder quelques plaintes timides. Répondant à la demande officielle que la France venait de lui faire de lui livrer les places, il dit, avec une fureur contenue, à M. de Beauharnais : « Je suis fâché que les troupes françaises soient entrées dans les places de Pampelune et de Barcelone avant que mes ordres aient été expédiés ; cela a produit l’impression la plus fâcheuse ; ces ordres sont arrivés vingt-quatre heures après l’arrivé des Français. »

Le prince se tourmentait pour deviner les desseins secrets de l’empereur. Pourquoi ce mépris d’un traité conclu, il y avait à peine quatre mois, avec toutes les apparences de la bonne foi ? Pourquoi ces masses de troupes qui s’avançaient dans toutes les directions et qui déjà enveloppaient la capitale ? Pourquoi, enfin, ce dernier attentat à l’indépendance de l’allié le plus humble et le plus soumis ? L’agent que le favori entretenait à Paris, M. Isquierdo, vint en personne lui révéler le mot de cette terrible énigme. Il arriva à Madrid dans les derniers jours de février et donna communication au prince du projet que l’empereur avait résolu de substituer au traité de Fontainebleau. L’excès de l’infortune rendit au prince de la Paix un reste d’énergie. Sans perdre un moment, il renvoya son agent en France avec des instructions qui lui enjoignirent de repousser toutes les bases proposées.

M. Isquierdo revint à Paris vers le 20 mars, et aussitôt les négociations s’ouvrirent. Le grand maréchal du palais Duroc et le prince de Talleyrand furent chargés de débattre avec cet agent les intérêts de la France. On a dit que M. de Talleyrand s’était opposé de toute la force de son esprit au système adopté par Napoléon dans les affaires d’Espagne. Il n’y a point d’assertion plus erronée. M. de Talleyrand n’avait ni assez de patriotisme, ni assez de courage pour combattre avec énergie, avec persévérance, sur quelque point que ce fût, les idées ou les passions de l’empereur. Notamment en ce qui touche la question d’Espagne, il est acquis maintenant à l’histoire qu’il a plutôt excité que contenu Napoléon. Nous n’en voulons d’autre preuve que le rôle principal qu’il a accepté et rempli dans les négociations du mois de mars 9808. Il était désolé de n’être plus ministre : il craignait d’être mis à l’écart et oublié, et il saisit avidement la première occasion qui s’offrit pour remettre la main aux grandes affaires. Voici les bases qu’il soumit lui-même, le 24 mars, de la part de l’empereur, à M. Isquierdo[1] :

Les Français et les Espagnols pourraient commercer librement dans leurs colonies respectives, les Français dans les colonies espagnoles, comme s’ils étaient Espagnols, les Espagnols dans les colonies françaises,

  1. Dépôt des archives des affaires étrangères.