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qui surtout décourage les bons esprits, c’est le mariage de Mlle Tascher de la Pagerie, que l’on croyait réservée au prince des Asturies[1]. Les Espagnols se croient abandonnés de la France. Cette nation, incertaine encore sur le parti qu’elle doit prendre, cherche à pénétrer si elle peut se sauver elle-même… Godoy, de son côté, perd toute contenance ; son embarras et son anxiété sont extrêmes. »

Ainsi, à la cour comme partout, régnait une inquiétude vague, mais déjà pleine de trouble et de passions. On n’osait pas encore nous accuser hautement, mais l’on commençait à nous prêter des projets sinistres contre la sécurité et l’indépendance du royaume, quand tout à coup l’on apprit que nos troupes s’étaient introduites frauduleusement dans les principales places du nord. Mille clameurs s’élèvent aussitôt contre l’empereur et le prince de la Paix ; on les croit tous les deux d’intelligence ; des voix indiscrètes révèlent pour la première fois le secret de la transaction de Fontainebleau ; on accuse le favori d’avoir vendu son pays à la France et d’avoir reçu, pour prix de sa trahison, la principauté des Algarves. Nos partisans, dont le nombre diminue tous les jours, n’osent plus nous défendre que d’une voix timide. « Ne pouvant se fier au favori, disent-ils, il a bien fallu que Napoléon s’assurât des garanties contre sa duplicité. » Le soupçon et le découragement avaient envahi tous les cœurs. « L’opinion se prononce de jour en jour davantage contre la France, écrivait M. de Beauharnais. Les nouvelles de Barcelone, de Pampelune et de Figuières affligent et irritent ; on compte le nombre de troupes qui sont dans la Péninsule. L’idée d’un démembrement épouvante[2]. »

La cour était atterrée. Le prince de la Paix eut honte du degré d’abaissement auquel il était descendu. Le suprême dédain dont l’accablait l’empereur le remplit de dépit et de rage. Objet de l’exécration de l’Espagne entière, qu’allait-il devenir, maintenant que Napoléon lui retirait son appui et le montrait au monde comme l’instrument de la ruine et de l’asservissement de son pays ? Vainement chercherait-il un refuge dans l’attachement de ses maîtres pour lui ? Le vieux roi et la reine seraient d’impuissans remparts contre le torrent déchaîné de la haine publique. Il ne lui restait pas même la triste consolation de se plaindre. Craignant d’exciter le courroux de l’empereur, il lui fallait dévorer en

  1. M. Bignon prétend que l’empereur a hautement désapprouvé M. de Beauharnais d’avoir compromis son caractère d’ambassadeur en se faisant le promoteur d’un mariage entre Mlle Tascher de la Pagerie et le prince des Asturies. Nous n’avons point trouvé au dépôt des archives aucune lettre contenant la moindre expression de blâme sur la conduite de M. de Beauharnais. Si cet ambassadeur avait été aussi énergiquement réprimandé que le dit M. Bignon, il n’aurait certainement pas déploré avec autant de liberté de langage qu’il le fait dans plusieurs de ses dépêches le mariage de Mlle de la Pagerie avec le duc d’Aremberg.
  2. Lettres de M. de Beauharnais à M. de Champagny, 22, 25 février et 4 mars 1808.