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l’empereur qui s’étendait sur l’Espagne pour l’asservir, et sur lui-même pour le sacrifier sans doute à la haine de ses ennemis. Ce n’était pas seulement à la cour que s’opérait le désenchantement ; la nation espagnole le ressentait aussi elle-même. A la vue des nombreux bataillons qui envahissaient son territoire, elle était sortie graduellement de son long sommeil ; elle avait regardé autour d’elle ; elle s’était demandé où était le danger imminent qui provoquait, de la part de son puissant allié, un développement de forces aussi considérable. Elle ne connaissait point le traité de Fontainebleau, et elle n’avait pas assez de lumières pour deviner ce que le prince de la Paix avait tant d’intérêt à lui cacher. L’opinion s’était partagée : les uns, pleins d’admiration pour le génie de Napoléon, se berçaient de l’espoir que ce grand homme avait pris leurs malheurs en pitié et n’accumulait tant de troupes en Espagne que pour les délivrer de l’odieux favori qui les gouvernait ; les autres, plus avisés, craignaient qu’il n’eût entrepris l’expédition du Portugal qu’afin d’avoir un prétexte pour envahir l’Espagne, et que l’invasion ne fût elle-même un acheminement à la conquête. Le décret qui frappait le Portugal d’un impôt de cent millions affecta péniblement nos plus dévoués partisans et justifia toutes les accusations de nos ennemis. On compâtit d’autant plus vivement au sort des Portugais qu’on commença à craindre de le partager un jour.

La demande que le prince des Asturies avait faite à l’empereur de lui choisir une épouse n’était plus un secret pour personne : le nom de Mlle Tascher était dans toutes les bouches ; mais l’empereur, impatient d’étouffer aux Tuileries comme à Madrid des espérances qu’il ne voulait point réaliser, venait de marier la nièce de l’impératrice au duc d’Aremberg[1]. Cette détermination causa à Madrid une impression très fâcheuse. Personne, pas même M. de Beauharnais, ne savait que l’empereur eût formé le dessein d’unir la fille de Lucien à Ferdinand. On donna une tout autre interprétation au mariage de Mlle Tascher ; on crut y voir un symptôme d’éloignement à l’égard du prince des Asturies, et les anxiétés s’accrurent. « L’enthousiasme pour la France s’éteint tout-à-fait, écrivait, le 15 février, M. de Beauharnais ; on ne s’explique pas notre conduite en Portugal. Que signifient, disent les Espagnols, ces contributions effroyables dont on accable un pays qui ne peut les payer ? L’entrée du troisième corps a causé une impression pénible. Ce

  1. Cette union ne fut point heureuse. Mlle Tascher pas plus que le duc d’Aremberg ne se souciaient l’un de l’autre. Ils s’étaient unis par ordre du maître, et l’on assure que le mariage ne fut point consommé. Au bout de quelques années, un divorce rompit des liens que, de part et d’autre, le cœur avait désavoués. En 1814, Mlle Tascher, mécontente des destinées que lui avait faites l’empereur, se jeta dans le parti des Bourbons. Louis XVIII se chargea de l’établir ; il lui fit épouser le comte de Cuitry et la dota somptueusement : il lui assura une dotation de 35,000 francs de rente.