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elle conçut des soupçons. Le prince de la Paix brûlait d’entrer en possession de la principauté des Algarves, et la reine n’était guère moins impatiente de voir fixer le sort de sa fille, l’ex-reine d’Étrurie. L’un et l’autre réclamaient avec instance l’exécution du traité de Fontainebleau. « Le Portugal est conquis, disait le prince de la Paix, sa capitale occupée, la population soumise ; le régent et sa cour ont fui au Brésil : qu’attendons-nous pour procéder au partage du royaume ? » L’ambassadeur de France, confident de toutes ces impatiences, avait beaucoup de peine à les calmer. La cour commença à craindre que la France ne voulût se soustraire à l’exécution de ses engagemens. D’autres faits augmentèrent encore ces premières alarmes. Elle eut connaissance d’un décret rendu à Milan, le 23 décembre, par lequel l’empereur avait frappé le Portugal d’une contribution de guerre de cent millions de francs pour le rachat des propriétés des particuliers, et nommé le général Junot gouverneur suprême du royaume conquis. M. de Beauharnais vint confirmer, en les expliquant, les nouvelles décisions de son maître. « Le moment n’est pas encore venu, dit-il au prince de la Paix, de procéder au partage du Portugal ; il faut d’abord consolider l’œuvre de la conquête. L’empereur demande à sa majesté catholique qu’elle veuille bien consentir à ce que l’exécution du traité de Fontainebleau soit suspendue, et que toute l’autorité en Portugal reste provisoirement concentrée dans les mains du général Junot[1]. » Cette déclaration dessilla les yeux du favori ; il comprit enfin que l’empereur Napoléon l’avait trompé, que l’offre de la principauté des Algarves avait été un piége, et qu’il n’était plus même un instrument entre les mains du maître de la France. Les lettres confidentielles de son agent à Paris achevèrent de le désespérer. M. Isquierdo lui écrivit qu’il remarquait un refroidissement sensible dans les manières de M. de Champagny à son égard ; qu’on affectait visiblement de le délaisser, tandis qu’on traitait avec toute sorte de considération et d’empressement le prince de Masserano ; que l’empereur, après son retour d’Italie, avait laissé échapper sur la personne du favori des paroles de blâme et de dédain, et qu’enfin Murat, qui n’avait pas cessé jusqu’ici de servir aux Tuileries les intérêts du prince, semblait lui-même l’abandonner.

L’empereur avait demandé au sénat de consentir à une levée anticipée de 80,000 hommes sur la conscription de 1808, et le sénat l’avait accordée[2]. Les ministres avaient motivé cette mesure par la situation critique de la Péninsule, « menacée, avaient-ils dit, sur toute l’étendue de ses côtes par les troupes et les flottes de l’Angleterre. » Ces dangers, Godoy affectait de ne point les voir ; il ne voyait que la main de

  1. Lettre de M. de Beauharnais, 8 février 1808.
  2. Sénatus-consulte du 22 janvier.