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de ses populations maritimes, les assujettir à des rigueurs et à une discipline qu’elles n’avaient jamais connues. Ce n’était ni le bras énervé du prince de la Paix, ni l’administration inexpérimentée du prince des Asturies, qui auraient pu triompher de telles difficultés. Il ne fallait rien moins que la toute-puissance de l’empereur, partout présente et vigilante, c’est-à-dire l’occupation par ses armées de tous les points militaires du littoral.

Les Anglais avaient causé, dans le cours de la présente année, de grands maux à l’Espagne. Ils avaient détruit son commerce avec l’Amérique, confisqué ses galions, battu en toutes rencontres, brûlé, coulé à fond ou saisi ses vaisseaux, jeté des fermens de révolte dans ses vastes colonies, anéanti par l’effet d’une contrebande effrénée son industrie manufacturière, démoralisé enfin par les habitudes d’un trafic illicite toutes les populations du littoral. Cependant ils auraient pu lui faire bien plus de mal encore : rien ne les eût empêchés de profiter de l’état de délabrement dans lequel elle avait laissé tomber la plupart de ses places maritimes, pour les assiéger et s’en emparer. Ils ne l’avaient pas même tenté, parce qu’ils n’avaient pas voulu appliquer à des entreprises subalternes des forces qu’ils avaient jugé plus utile de porter sur d’autres points. Ils n’avaient frappé l’Espagne que dans la mesure qui convenait à leurs intérêts, et réduit la guerre aux proportions d’une grande spéculation commerciale ; mais aujourd’hui que les armées de la France débordaient sur toute la Péninsule, on pouvait être certain qu’ils allaient changer leur système d’opérations. Ce qu’ils n’avaient pas voulu entreprendre contre un ennemi à demi engagé dans leur cause, ils le tenteraient à coup sûr contre l’Espagne, devenue en quelque sorte une annexe de la puissance territoriale et militaire de la France. Leurs escadres dans la Méditerranée et dans l’Océan ne se borneraient plus, comme autrefois, à protéger les contrebandiers de l’Andalousie, de la Catalogne, de la Galice, des Asturies et de la Biscaye ; ils les emploieraient désormais à s’emparer de Cadix, de Carthagène, de Tarragone, de Barcelone, du Ferrol, de Santander et de Bilbao. Notamment en ce qui touchait le Portugal, rien ne leur coûterait pour ressaisir leur ascendant sur les rives du Tage. Bientôt nous les verrions descendre dans cette arène que nos propres mains venaient de leur ouvrir, nous saisir et nous combattre corps à corps.

Ce n’était pas avec les vingt-cinq mille hommes de Junot et les vingt-cinq mille de Solano et de Taranco qu’il nous était possible de suffire aux exigences d’une situation aussi compliquée. La France ne pouvait rester renfermée dans les termes du traité de Fontainebleau, et il fallait être aussi frivole, aussi aveugle que l’était le prince de la Paix pour avoir pris ce traité au sérieux. Les troupes du général Junot n’étaient évidemment que le corps d’avant-garde d’une armée beaucoup plus