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des ambitieux. D’ailleurs, eût-il voulu pousser les choses à l’extrême, une circonstance l’eût arrêté. Parmi les papiers trouvés chez Ferdinand se trouvait la minute de la lettre adressée le 11 octobre à l’empereur. Ce fut cette lettre, cause principale de l’exaspération de la reine, qui sauva le jeune prince. Tout donnait à penser qu’elle avait été écrite, peut-être à l’instigation, certainement avec l’assentiment de l’ambassadeur de France. L’ambassadeur était un Beauharnais ; la jeune personne dont le prince avait sollicité la main, une nièce de l’impératrice on craignit à Madrid de venir se heurter contre de tels noms.

En effet, dans l’attente d’un procès scandaleux, on avait, aux Tuileries, manifesté quelque inquiétude. Charles IV avait écrit à l’empereur qu’il considérait comme un crime plus grand que d’avoir conspiré la lettre que son fils lui avait écrite le 11 octobre. Napoléon crut entrevoir dans les plaintes du vieux roi qu’il le soupçonnait d’avoir trempé indirectement dans le complot de Ferdinand. Il fit venir le prince de Masserano et lui dit avec l’accent d’un homme offensé qu’il n’avait reçu aucune lettre du prince des Asturies, bien que, s’il en eût reçu, personne n’aurait le droit de s’en plaindre. Il ajouta que l’arrestation de Ferdinand était une intrigue de cour, et que le prince de la Paix voulait porter au trône un autre prince à la place de l’héritier naturel. M. de Champagny s’en expliqua non moins vivement avec M. Isquierdo. « L’empereur, lui dit-il, demande expressément que, sous aucun prétexte, il ne soit rien publié sur cette affaire, ni prononcé un seul mot qui puisse compromettre son nom ou celui de son ambassadeur. Il ne s’est point mêlé des affaires intérieures de l’Espagne ; il déclare sa volonté de ne s’en mêler jamais. »

Tout le monde en Espagne attendait avec anxiété le dénoûment du drame de l’Escurial. Ferdinand avait à traverser une de ces rares épreuves où l’homme aux prises avec le malheur donne la mesure de ce qu’il vaut. L’histoire du dernier siècle lui offrait un noble exemple. Dans une situation à peu près analogue, le prince royal de Prusse, qui fut plus tard le grand Frédéric, aima mieux braver la tyrannie de son père, et languir plusieurs mois dans la prison de Spandau, que de s’avilir par de lâches délations. L’ame du héros futur de la Prusse se montra dans l’indomptable énergie du prince royal. Ferdinand était incapable d’un tel courage. A peine eut-il été arrêté que, tout tremblant de peur, il fit savoir à sa mère qu’il avait à lui faire des révélations importantes. La reine envoya le ministre de grace et justice, Caballero, recevoir ses dépositions. Ferdinand avoua tout ; il livra les noms de ceux qui l’avaient assisté de leurs conseils, et il les livra sans exiger la moindre garantie pour la sécurité de leurs personnes. Le favori triomphait, mais c’était un triomphe plein de dangers. L’Espagne entière l’accusait d’être l’auteur des chagrins dont on abreuvait l’héritier du