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cette princesse. Poussée par les plus mauvaises passions, par la haine de son propre sang, par l’amour désordonné d’un pouvoir qu’elle était incapable d’exercer, elle conçut un projet abominable : ce fût, en cas de mort prochaine de Charles IV, de faire déclarer son fils aîné incapable de régner, de conserver, sous le titre de régente, l’autorité suprême, et de gouverner de concert avec le prince de la Paix. Il s’agissait d’accoutumer la nation à voir la toute-puissance de la reine et du favori se prolonger par-delà la mort du vieux roi. On eut recours, pour perdre le jeune prince dans l’opinion, aux plus infames machinations : on s’attacha à noircir sa réputation ; on le peignit comme un prince sans foi, méchant, cruel et livré aux plus honteuses débauches. Ce n’est pas tout : on le tint éloigné de toutes les affaires ; on l’entoura d’espions et l’on frappa de disgrace tous ses amis. Tandis qu’on abreuvait d’amertume l’héritier du trône, le favori s’élevait de plus en plus dans la sphère des honneurs. A toutes les dignités dont ils l’avaient comblé, ses souverains en ajoutèrent de plus grandes encore : ils lui déférèrent le titre d’altesse royale et toutes les prérogatives des infans : ils le nommèrent généralissime des armées de terre et grand-amiral ; enfin, ce qui était plus significatif encore, ils mirent sous ses ordres directs la garde royale, ainsi que la haute police du palais. C’était presque l’égaler à eux-mêmes.

La tâche la plus délicate était de gagner les chefs de l’armée et les grands corps de l’état. Séductions de toutes espèces, insinuations perfides sur la naissance douteuse de Ferdinand, promesses, prières, menaces, tout fut mis en œuvre pour corrompre les ambitieux, entraîner les faibles, intimider les cœurs fermes et courageux. L’important surtout était de s’assurer l’appui du conseil de Castille ; mais le pouvoir rencontra dans cette assemblée des résistances auxquelles il ne s’était pas attendu. La majorité resta inaccessible aux séductions du favori, et sa noble attitude retint dans la ligne du devoir ceux de ce corps dont la conscience moins ferme était disposée à faillir.

La situation du prince des Asturies devenait de jour en jour plus grave. Secrètement avertis de ce qui se machinait contre lui, ses amis étaient en proie aux plus sinistres appréhensions. C’est qu’en effet la reine et le favori ne pouvaient plus s’arrêter sur la pente fatale où ils étaient lancés, et leurs intérêts comme leurs passions semblaient les pousser l’un et l’autre à un crime.

Les relations intimes qui, après le traité de Tilsitt[1], s’établirent entre les cours de Madrid et des Tuileries, mirent le comble aux angoisses de Ferdinand. Godoy avait un intérêt immense à obtenir la protection de

  1. 7 juillet 1807 et non 1809, comme, on l’a imprimé par erreur dans la précédente livraison.