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société où, sans qu’aucune classification, odieuse ou surannée soit maintenue, règne la seule subordination légitime, celle que la loi établit entre les magistrats et les individus, celle que la raison fonde sur l’inégalité du mérite ou de l’éducation. Ce n’est point un être chimérique qu’un citoyen soumis aux lois, respectant à la fois ses droits et l’autorité, rendant hommage de par la raison aux choses respectables, riant ides préjugés puérils, fuyant l’insolence, dédaignant l’envie. C’est là le vrai citoyen de la société moderne et d’un pays libre. A le former, à le rendre chaque jour plus commun et plus imitable, devrait incessamment travailler une littérature jalouse de répandre la lumière. Tout au rebours, la littérature, a subi une singulière métamorphose ; elle s’est faite aristocratique. Feuilletez les livres, elle affectionne les titres, les armoiries, le blason ; elle préconise, les manières de cour, l’impertinence, la frivolité. Si dans un roman à la mode s’il y a un bourgeois libéral, c’est’ à coup sûr un sot, probablement un fripon. On y parle doctement de naissance et de race ; on applique à l’espèce humaine des idées de studbook. Ce mot d’aristocratie, sans cesse employé dans les livres du jour, n’y est plus jamais pris qu’en bonne part. Chose étrange en vérité ! réaction ridicule ! littérature de parvenus !

On n’a pas su rester dans ce milieu si facile à tenir entre un retour fantasque à de vieilles niaiseries et une explosion de passions ou de préjugés niveleurs. On a cessé de fixer le regard, sur cet idéal de l’honnête homme et de l’homme sensé que, nos pères avaient dans l’esprit un certain jour qu’ils s’avisèrent d’une certaine déclaration des droits.

Ces exemples (on en pourrait donner mille) suffiront pour indiquer ce qui, suivant moi, manque à la littérature du moment. Ces vains efforts pour refaire de la raison avec des préjugés, de la religion avec des légendes, de la société avec des abus, de la vérité avec de l’erreur, ce n’est pas l’œuvre d’une fausse doctrine, comme celle des publicistes de l’émigration ; d’un fanatisme sincère, comme celui des hommes de 1815 ; d’une passion vindicative, comme vous pouviez l’éprouver, vous qui aviez senti le sang d’un père tomber goutte à goutte sur vos têtes à travers les fentes du plancher d’un échafaud. Non, c’est lassitude et prétention d’esprit, c’est artifice ou mode d’une littérature qui courtise les plus mesquines faiblesses d’un public blasé. Les écrivains ont cessé de se croire une cause à défendre, un but à atteindre. Ils s’appellent eux-mêmes de purs artistes et se comparent au musicien qui ne veut que plaire avec des sons. Ce qui n’est vrai que de quelques poésies destinées uniquement à produire de douces et vagues sensations, on l’applique à tous les emplois de la parole écrite, ne fût-ce que pour justifier la prétention si commune au nom tentant de poète. Romancier, critique, historien, philosophe, tout le monde l’accepte ou le brigue aujourd’hui, et, sous prétexte de poésie, la foi dans les idées s’éteint ou