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poursuivant on a échoué, on s’est égaré. Que fait la littérature ? Vous le savez ; pour s’épargner des frais d’invention, elle essaie de l’archaïsme. Vous la connaissez, cette littérature sacrée de nom, profane de fait, qui de la religion ne semble comprendre que les légendes. On, lui parlait des abus de l’église, elle les place au-dessus de ses bienfaits. Ce qu’elle aime de l’institution, c’est l’inquisition et l’ultramontanisme. Les saints qu’elle recommande sont des saints douteux du moyen-âge, ou ces saints d’origine claustrale, dont la Sorbonne, il y a cent cinquante ans, aurait trouvé mauvais qu’on vînt l’entretenir. S’il y a quelque part des liturgies bizarres ou des symboles hasardés ; qui n’ont pas, même été admis par l’église, si surtout il se rencontre des croyances excessives, des allégories outrées, bien dépourvues, de tout caractère évangélique, bien empreintes du caractère des grossières imaginations humaines, c’est là dans le culte de nos pères ce qu’elle révère ou glorifie. Demandez-leur, à ces écrivains d’un goût corrompu et dont l’orthodoxie n’est qu’un long paradoxe, ce qui vaut mieux pour la religion du traité de l’existence de Dieu de Fénelon ou des fables des Bollandistes : ils n’hésiteront pas ; ce sont des gens qui trouvent Fleury suspect et Tillemont incrédule. Ils tiennent à mettre le christianisme en guerre avec le bon sens.

Je ne veux voir dans tout cela que de la mauvaise littérature ; mais ne serai-je pas bien compris maintenant si je répète qu’il manque à la nouvelle école de littérature religieuse le sentiment de l’idéal chrétien ?

Venons à de moins graves sujets. Un principe passe pour avoir dominé ce pays-ci, et j’espère même qu’il y domine toujours ; quoi qu’il en semble : c’est l’égalité. On sait apparemment ce que je veux dire. Si on l’avait oublié, qu’on veuille bien relire une lettre, jadis assez fameuse, de Jean-Jacques Rousseau à Christophe de Beaumont ; on me comprendra. L’égalité, depuis un temps déjà long, avait pénétré et dans nos lois et dans nos mœurs ; mais, comme toutes les choses de ce monde, elle ne s’établit pas sans quelque dommage. Dans une société démocratique, non-seulement des distinctions jadis éclatantes ou agréables s’effacent, mais il se manifeste des goûts et des habitudes qui manquent d’élégance, surtout d’affectation d’élégance. L’uniformité d’éducation ne suit pas l’égalité des droits, même une instruction pareille n’amène pas des mœurs semblables. Des préjugés subversifs, des représailles grossières accompagnent souvent une émancipation sociale ; il peut enfin se répandre dans les classes nouvellement affranchies un esprit impatient de toute supériorité, et que tour à tour l’ignorance ou l’envie soulève contre les pouvoirs légitimes ou contre le mérite véritable ; mais c’est la faute des hommes, ce n’est pas celle de l’égalité, c’est-à-dire de la justice. Il demeure vrai que l’on petit concevoir une